LE TIBETAIN

LES ENSEIGNEMENTS DU TIBETAIN

21. DE L'INTELLECT A L'INTUITION

Par Alice A. BAILEY

 

Mis sur support informatique sous la responsabilité de l’Association Lucis Trust.

 

 TABLES

 SOMMAIRE

 

CHAPITRE I . PENSÉES PRÉLIMINAIRES

 CHAPITRE II . LE BUT DE L’ÉDUCATION

 CHAPITRE III . LA NATURE DE L’AME

 CHAPITRE IV . LES OBJECTIFS DE LA MÉDITATION

 CHAPITRE V . LES ETAPES DE LA MEDITATION

I. L’Etape de la Concentration

II. L’Etape de la Méditation

 CHAPITRE VI . LES ÉTAPES DE LA MÉDITATION (suite)

III. L’Étape de la Contemplation

 CHAPITRE VII . L’INTUITION ET L’ILLUMINATION

 CHAPITRE VIII . L’UNIVERSALITÉ DE LA MÉDITATION

La Méthode dans le Bouddhisme tibétain

Méthode du Bouddhisme chinois

La Méthode dans la Yoga hindoue

La Méthode dans le Soufisme

La Méthode dans le Christianisme

 CHAPITRE IX . LA PRATIQUE DE LA MÉDITATION

 CHAPITRE X . NÉCESSITÉ DES PRÉCAUTIONS DANS LA PRATIQUE DE LA MÉDITATION

 CONCLUSION

 BIBLIOGRAPHIE

 MANTRAS

 Plus radieux que le soleil…

Il est une Paix qui dépasse toute compréhension…

O Dieu, tu me vois.

 MEDITATIONS

 Mise en condition préparatoire à la méditation

Méditation pour le développement de la concentration

CHAPITRE PREMIER

PENSÉES PRÉLIMINAIRES

  

La crise actuelle.

L’entraînement mental en Orient et en Occident.

Deux groupes de penseurs : les scientifiques et les mystiques.

Leur synthèse.

"La méthode scientifique indépendamment d’un point de vue étroitement agnostique et pragmatique est incomplète et insuffisante en soi : elle demande, pour entrer en contact avec la réalité, le complément d’une métaphysique"

 JOSEPH MARÉCHAL, S. J.

 

L’intérêt suscité aujourd’hui par la question de la méditation témoigne d’un besoin mondial qu’il est nécessaire de comprendre clairement. De toute tendance populaire persistant dans une même direction, on peut admettre que surgira ce dont la race a besoin pour sa marche en avant. Que la méditation soit considérée comme un mode de prière par ceux qui donnent des définitions à la légère, est malheureusement vrai. Mais on peut démontrer que la compréhension exacte du procédé de la méditation, et sa juste adaptation aux nécessités de la civilisation moderne, permettront de trouver la solution du problème actuel de l’éducation et la méthode par laquelle l’existence de l’âme sera prouvée. Cette chose vivante que nous appelons "âme", faute d’un meilleur terme.

 L’objet de ce livre est de traiter de la nature et de la vraie signification de la méditation, de l’extension de son emploi en Occident. Il y est suggéré qu’elle pourra, avec le temps, supplanter les méthodes actuelles de développement de la mémoire et se révéler un facteur puissant de l’éducation moderne. 

 C’est un sujet qui a retenu l’attention des penseurs de l’est et de l’ouest, depuis des milliers d’années, et cette uniformité d’intérêt est, en soi, d’importance. Les prochains procédés qui feront avancer la race sur la voie du développement de sa conscience sont certainement dans la direction de la synthèse.

 La croissance de la connaissance humaine doit s’effectuer par la fusion des techniques orientales et occidentales d’entraînement mental. Celle-ci a fait déjà de rapides progrès et des penseurs, dans les deux hémisphères, conçoivent que cette fusion conduit à une réalisation des plus significatives.

 

Edward Carpenter dit :

 Il semble que nous soyons arrivés au moment où (...) une grande synthèse de toute la pensée humaine (...) se produit inévitablement et tout naturellement... De cette rencontre des éléments surgit déjà le vague tracé d’une philosophie qui sûrement dominera la pensée humaine, pendant une longue période. 1

 1 Carpenter Edward, The Art of Création, p. 7.

 Là réside la gloire et l’espérance de la race et le triomphe saisissant de la science. Nous sommes maintenant un seul peuple. L’héritage d’une race est à la disposition d’une autre ; les plus précieuses acquisitions du passé sont accessibles à tous.

 Les anciennes techniques et les méthodes modernes ont à se rencontrer et à faire des échanges. Chacune devra modifier son mode de présentation, s’efforcer de comprendre l’esprit sous-jacent qui a produit telle phraséologie particulière, tels symboles. Si ces concessions sont faites, une structure de la vérité surgira, qui incorporera l’esprit de l’âge nouveau. Les penseurs modernes envisagent cette éventualité. Le Dr Overstreet fait observer que :

 La philosophie orientale, on le soupçonne, a peu influencé la pensée occidentale, principalement à cause de son procédé.

Mais, quand l’Orient subira l’influence de la pensée occidentale. En particulier de sa méthode expérimentale rigoureuse. Il y a tout lieu de croire qu’un nouveau mode philosophique sera adopté, et la profonde spiritualité de la pensée orientale s’exprimera d’une manière plus accessible à la mentalité occidentale.

 Overstreet H. A., The Enduring Quest, p. 271.

 

  Jusqu’ici la tendance des deux écoles a été de se combattre ; cependant la recherche de la vérité a été identique ; l’intérêt pour ce qui est et ce qui peut être ne se confine pas à l’un ou l’autre groupe, et les facteurs avec lesquels chacun a travaillé sont les mêmes. Même si l’intellect du penseur asiatique est orienté vers l’intelligence créatrice et celui du penseur occidental vers la recherche scientifique, le monde dans lequel ils pénètrent est singulièrement semblable ; l’instrument qu’ils emploient est appelé l’ "intellect" dans l’Ouest, "la substance mentale" (chitta) dans l’Est : l’un et l’autre se servent de symboles pour exprimer leurs conclusions et tous parviennent au point où les mots sont impuissants à traduire les possibilités intuitivement perçues.

 Le Dr Jung, une des personnalités cherchant à concilier ces éléments jusqu’ici en désaccord, y fait allusion dans cet extrait de son commentaire sur un ancien manuscrit chinois. Il dit :

 La conscience occidentale n’est aucunement la conscience en général, mais un facteur historiquement conditionné et géographiquement limité, représentant seulement une partie de l’humanité. L’élargissement de notre conscience ne devrait pas se produire au détriment d’autres espèces de conscience, mais devrait être amené par le développement de ces éléments de notre psyché qui sont analogues à ceux d’une psyché étrangère, de même que l’Est ne peut se passer de notre technique, de notre science et de notre industrie.

L’invasion européenne de l’Asie a été un acte de violence à grande échelle et nous laisse le devoir, noblesse oblige, de comprendre la mentalité orientale. Ceci est peut-être plus nécessaire que nous ne le comprenons à présent.

 Wilhelm, Richard, and Jung, Dr C. G., The Secret of the Golden Flower, p. 136.

  

Le Dr Hocking, de Harward, nous présente la même idée :

 Il semble qu’il y ait des raisons d’espérer un meilleur avenir physique pour la race, grâce à une saine hygiène mentale.

Passée l’ère des charlatans et dans une certaine mesure avec leur aide, une possibilité apparaît d’élargir la maîtrise de soi, quand le sens spirituel d’une discipline telle que celle du Yoga se joindra aux éléments modérés de la psychologie occidentale et à un système d’éthique sain. Aucun de ces éléments n’a de grande valeur sans les autres.

 Hocking Wm. E., Self, Its Body and Freedom, p. 75

 

Ceux qui ont étudié dans les deux écoles, nous disent que les symboles de l’Orient, comme ceux de l’Occident, ne sont qu’un voile derrière lequel ceux qui sont doués de perception intuitive ont toujours pu pénétrer. La science occidentale, en insistant sur la nature de la forme, nous a aussi conduits au royaume de l’intuition et il semble que les deux méthodes puissent fusionner et parvenir à une compréhension mutuelle, élimination faite de tout ce qui n’est pas essentiel. Ainsi, elles élaboreront une méthode nouvelle, fondée sur de vieilles vérités démontrées et accédant au mystère central de l’homme.

 

Le Dr Jung écrit encore à ce sujet :

 La science est le meilleur outil de l’intellect occidental et plus de portes peuvent être ouvertes avec lui qu’avec des mains vides. Ainsi, partie intégrante de notre compréhension, elle n’embrume notre vision intérieure que lorsqu’elle prétend être le seul et unique moyen de comprendre. Mais l’Orient nous

en a enseigné un autre, plus vaste, plus profond et une compréhension plus haute, c’est la compréhension par la vie.

Nous ne connaissons ce moyen que vaguement, comme un simple sentiment imprécis, tiré de la terminologie religieuse et, en conséquence, nous plaçons volontiers la "Sagesse" orientale entre guillemets et la repoussons dans le domaine obscur de la foi et de la superstition. Mais ainsi le "réalisme" oriental est radicalement méconnu. Il ne consiste pas en intuitions sentimentales exagérément mystiques, frisant la pathologie, émanant de reclus ascétiques et de détraqués. La Sagesse de l’Orient est basée sur une connaissance pratique (...) dont rien ne justifie la sous-estimation.

 Wilhelm, Richard, and Jung, Dr C. G., The Secret of the Golden Flower, p. 78.

 

C’est dans l’exercice de l’intellect qu’est le n.ud de la situation. L’intellect humain est apparemment un instrument qui peut être employé dans deux directions. L’une est extérieure. L’intellect fonctionne sur ce mode, enregistre nos contacts avec le monde physique et le monde mental, où nous vivons, et reconnaît nos conditions émotives et sensorielles. Il est l’enregistreur et le contrôleur de nos sensations, de nos réactions et de tout ce qui lui est transmis par l’intermédiaire des cinq sens et du cerveau. C’est là un champ de connaissance qui a été largement étudié et les psychologues ont poussé fort avant, dans la compréhension des procédés psychologiques. "Penser", nous dit le Dr Jung, "est une des quatre fonctions psychologiques de base. C’est cette fonction psychologique qui, en suivant ses propres lois, établit des rapports entre les représentations données et les concepts. C’est une fonction aperceptive aussi bien passive qu’active. La pensée active est un acte de volonté, la pensée passive une occurrence".

 Dibblee George Binney, Instinct and Intuition, p. 85.

 

 Comme nous le verrons plus tard, c’est l’appareil de la pensée qui est impliqué dans la méditation et qui doit être exercé de telle sorte qu’il puisse ajouter à cette première fonction de l’intellect une capacité de se tourner dans une autre direction et d’enregistrer, avec une égale facilité, les réalités subjectives, les perceptions intuitives et les idées abstraites du monde intérieur.

Ce sublime héritage du mystique ne semble point encore à la portée du commun des hommes.

 Le problème qui se pose aujourd’hui pour la famille humaine, dans le domaine de la science comme dans celui de la religion, résulte du fait que le disciple de l’une et de l’autre école se trouve au seuil du monde métaphysique.

Un cycle a pris fin. L’homme, en tant qu’entité pensante et sentante, semble parvenu maintenant, dans une appréciable mesure, à la compréhension de l’instrument avec lequel il doit travailler. Il se demande quel usage en faire.

Où va le conduire l’intellect qu’il apprend à contrôler ? Que réserve l’avenir à l’homme ? Quelque chose, nous le sentons, d’une beauté, d’une certitude plus grande que tout ce que nous avons connu jusqu’à présent. Peut-être sera-ce l’accession universelle à cette connaissance propre à l’individu mystique ? Nos oreilles sont assourdies par le tapage de notre civilisation moderne et cependant, par moments, nous percevons des sons plus ténus, qui témoignent d’un monde immatériel. Nos yeux sont aveuglés par le brouillard et la fumée de notre ambiance immédiate ; pourtant un instant de claire vision nous révèle parfois un mode vital plus subtil, et, perçant le brouillard, laisse pénétrer "la Gloire qui jamais ne fût sur terre ou sur mer". Le Dr Bennett, de Yale, exprime ces idées en termes magnifiques :

 Un voile tombe de nos yeux et le monde apparaît dans une lumière nouvelle. Les choses ne sont plus ordinaires. La certitude naît que ceci est le monde réel dont l’aveuglement humain a caché jusqu’à maintenant le caractère.

 Cette expérience est d’abord troublante, séduisante. Il y a la rumeur d’un monde nouveau et l’esprit est avide d’entreprendre ce voyage sur d’étranges mers. Le monde familier doit être abandonné. La grande aventure religieuse commence... 

 Il doit y avoir quelque part un point sûr. Un univers en expansion doit offrir un avenir ; mais qui déclare que l’univers croît, énonce un fait inaltérable concernant sa structure, fait qui est l’éternelle garantie de la possibilité et de la validité de l’expérience...

 L’homme est un pont. De même le surhomme, dès que nous découvrons qu’il est seulement le symbole de l’idéal à atteindre. Notre seule assurance est que les portes de l’avenir soient toujours ouvertes.

 Bennett Ch. A., A Philosophical Study of Mysticism, pp. 23, 117, 130. 

 

Le problème consiste peut-être en ce que les portes de l’avenir semblent ouvertes sur un monde immatériel, une région qui est intangible, métaphysique, supra-sensible. Nous avons à peu près épuisé les ressources du monde matériel, mais nous n’avons pas encore appris à fonctionner dans un monde immatériel.

A certains moments, nous lui dénions même l’existence. Nous affrontons l’inévitable expérience que nous appelons mort, sans faire aucun effort logique pour vérifier s’il y a réellement une vie au-delà ! Les progrès de l’évolution ont produit une race merveilleuse, munie d’un appareil de réponse sensible et d’un intellect qui raisonne. Nous possédons les rudiments d’un sens que nous appelons intuition et, ainsi équipés, nous tenons aux portes de l’avenir, nous demandant à quelle fin nous emploierons ce mécanisme composite, complexe, que nous appelons un être humain ? Avons-nous atteint notre complet développement ? Y a-t-il des significations de la vie qui aient échappé à notre attention ? Et cela, parce que nous avons des pouvoirs latents, des capacités non réalisées ? Est-il possible que nous soyons aveugles à un vaste monde de vie et de beauté, possédant ses lois, ses phénomènes propres ? Les mystiques, les voyants, les penseurs de tous les âges et des deux hémisphères ont déclaré qu’un tel monde existe.

 Avec cet équipement, que nous pourrions appeler la personnalité, l’homme, ayant le passé derrière lui, se trouve dans un présent chaotique, face à l’avenir impénétrable. Il ne peut demeurer immobile. Il lui faut aller de l’avant et les vastes organisations éducatives, scientifiques, philosophiques et religieuses font toutes de leur mieux pour lui montrer quel chemin suivre et lui présenter la solution du problème.

 Ce qui est statique et cristallisé tombe finalement en morceaux ; là où s’arrête la croissance, surgit l’anormal et l’on constate un recul. Quelqu’un a dit que le danger à éviter est celui d’une personnalité se "désagrégeant". Si l’humanité n’est pas potentielle, si l’homme a atteint son zénith et ne peut aller plus loin, il devrait reconnaître le fait et organiser son déclin et sa chute en beauté. Il est encourageant de noter comment s’entrevoyaient, en 1850, les vagues contours de ce portail de l’Age Nouveau et combien les penseurs étaient soucieux que l’homme apprît sa leçon et poursuivit son avancement. Lisez les paroles de Carlyle et constatez leur actualité :

 En ces jours qui passent sur nous, même les imbéciles s’arrêtent pour chercher quelle est leur signification. Peu de générations d’hommes ont vu des jours aussi impressionnants ! Jours de calamités sans fin, de rupture, de dislocation, de confusion stupéfiante... Ce n’est pas une mince espérance qui nous suffira, la ruine étant clairement (...) universelle. Il doit venir un monde nouveau, si monde il doit y avoir. Que les êtres humains de l’Europe puissent jamais retourner à la vieille et piètre routine, s’y tenir et y avancer avec assurance et continuité, cette petite espérance aujourd’hui n’est plus possible. Ces jours de mort universelle doivent être des jours d’universelle renaissance, si la ruine ne doit pas être totale et définitive. C’est une époque à faire réfléchir le dernier des crétins sur son origine et sur sa fin...

 Jacks L. P., Religious Perplexities, p. 46.

 

 Considérant le siècle écoulé depuis que Carlyle écrivit ces mots, nous constatons que l’homme n’a pas manqué d’avancer. L’âge de l’électricité a été inauguré et les merveilleuses acquisitions de la science de notre époque sont connues de nous tous. Donc, par ce temps de crise nouvelle, nous pouvons être optimistes et avancer avec courage, car aujourd’hui, le portail de l’Age Nouveau se distingue beaucoup plus clairement.

 Peut-être est-il vrai que l’homme atteigne aujourd’hui seulement sa majorité et soit sur le point de prendre possession de son héritage, de découvrir en lui-même des pouvoirs, des capacités, des facultés et des tendances qui sont le gage d’une nature humaine essentielle, utile et d’une éternelle existence.

Nous achevons le stade où l’on insistait sur le mécanisme, sur la somme totale des cellules qui constituent le corps et le cerveau avec leurs réactions automatiques au plaisir, à la peine et à la pensée. Nous sommes bien informés sur l’homme, la machine. Nous sommes grandement redevables aux psychologues d’une certaine école, en raison de leurs découvertes concernant l’appareil par lequel un être humain entre en contact avec son entourage. Mais il y a des hommes parmi nous qui ne sont pas de simples machines. Nous avons le droit de mesurer nos capacités dernières et notre grandeur aux réalisations des meilleurs d’entre eux ; ces grands êtres qui ne sont pas le produit du caprice divin, ou de l’évolution aveugle, mais sont les garants de l’ultime achèvement du tout.

 Irving Babbitt remarque qu’il y a quelque chose dans la nature de l’homme qui le distingue des animaux, simplement comme homme, et ce quelque chose Cicéron l’a défini : "Un sens de l’ordre, du décorum et de la mesure, dans les actions et les paroles." Babbitt ajoute, et ceci est le point à noter, que "le monde eût été meilleur si plus de personnes se fussent assurées d’être humaines avant d’entreprendre d’être surhumaines."

 1 Babbitt Irving, Humanism : An Essay and Definition.

 

Il y a peut-être un état intermédiaire dans lequel nous fonctionnons comme hommes, où nous maintenons nos rapports humains, où nous accomplissons nos justes obligations et remplissons notre destinée temporaire. Ici la question se pose de savoir si, d’une façon générale, ce stade est même encore possible, quand nous nous rappelons qu’il y a des milliers d’illettrés sur notre planète, à notre époque ! Mais en même temps que cette tendance vers la pure humanité et l’éloignement de la standardisation de l’unité humaine émerge un groupe d’individus auxquels nous donnons le nom de mystiques. Ils rendent témoignage d’expériences et de contacts appartenant à un autre monde. Ils se portent garants d’une réalisation personnelle, d’une manifestation phénoménale et d’une satisfaction dont l’homme ordinaire ne connaît rien.

Ainsi que le Dr Bennett le dit : "Les mystiques ont décrit eux-mêmes leur expérience comme étant une vision de la signification de l’univers, une vision de la façon dont les choses sont de toute nécessité interdépendantes. Ils ont trouvé la clé 2. D’âge en âge, ils ont surgi et déclaré à l’unisson qu’il y a un autre royaume dans la nature. Ce royaume a des lois, des phénomènes et des relations intimes spécifiques. C’est le royaume de l’esprit. Nous l’avons trouvé, vous pouvez aussi vous assurer de sa nature. Ces témoins constituent deux groupes : les chercheurs purement mystiques, émotifs, qui contemplent la vision et tombent dans un ravissement illuminé devant la beauté de ce qu’ils aperçoivent ; deuxièmement, ceux qui connaissent, techniquement appelés "connaisseurs", qui ont ajouté au ravissement de l’émotion un acquis intellectuel (une orientation de l’intellect) qui leur permet de faire plus que percevoir et jouir. Ils comprennent, ils connaissent, ils se sont identifiés avec ce nouveau plan d’existence que les purs mystiques atteignent. La ligne de démarcation entre ceux qui connaissent les choses divines et ceux qui perçoivent la vision est très subtile.

 Il y a cependant entre ces deux groupes une zone neutre où s’effectue une grande transition. Il y a dans l’expérience et le développement un intermède au cours duquel le mystique visionnaire acquiert le savoir pratique et devient le "connaisseur". Il y a un procédé et une technique auxquels le mystique peut se soumettre, qui coordonne et développe en lui un nouvel appareil subtil, au moyen duquel il ne voit plus la vision de la réalité divine mais se connaît comme étant cette réalité même. La technique de la méditation concerne ce procédé de transition et cette éducation du mystique. Ceci fait l’objet du présent ouvrage.

 2 Bennett Charles A., A Philosophical Study of Mysticism, p. 81.

 

C’est la tâche des éducateurs et des psychologues de résoudre ce problème : conduire l’homme, en tant qu’être humain, à son héritage spirituel.

Ils doivent le mener jusqu’à la porte du monde mystique. Si paradoxal que cela semble, cette tâche est celle de la religion et de la science. Le Dr Pupin nous dit que "la science et la religion se suppléent ; elles sont les deux piliers du portique à travers lequel l’âme humaine pénètre dans le monde où réside la divinité".

 Pupin Michael, The New Reformation, p. 217.

  

Donnons au mot "spirituel" une large acception. Je ne parle pas ici des vérités religieuses ; les formules des théologiens, des hommes d’Eglise de toutes les grandes religions orientales ou occidentales, peuvent être ou n’être pas vraies. Employons le mot "spirituel" comme signifiant le monde de la lumière, de la beauté, de l’ordre et des fins dont parlent les livres sacrés : le monde qui fait l’objet des recherches attentives des savants et dans lequel les pionniers de la famille humaine ont toujours pénétré et dont ils sont revenus pour nous dire leurs expériences. Considérons toutes les manifestations de la vie comme étant spirituelles, élargissant ainsi la signification du mot, jusqu’à l’implication des énergies, des forces sous-jacentes en chaque forme dans la nature, et qui leur donne leurs caractéristiques et leurs qualités essentielles et distinctives.

 Depuis des milliers d’années, sur toute la planète, les mystiques et les connaisseurs ont rendu témoignage d’expériences survenues en des mondes plus subtils, où ils avaient été mis en contact avec des forces et des phénomènes qui n’appartiennent pas au monde physique. Ils parlent de rencontres avec les légions angéliques ; ils font allusion à la nuée des témoins, les Frères Aînés de la Race, qui travaillent en d’autres dimensions et qui montrent des pouvoirs dont l’homme ordinaire ne connaît rien. Ils parlent d’une lumière et d’une gloire ; d’une connaissance directe de la vérité et d’un monde de phénomènes qui est le même chez les mystiques de toutes les races. Il se peut qu’une grande partie du témoignage puisse être écartée comme étant du domaine de l’hallucination : il se peut aussi que beaucoup des saints d’autrefois aient été des psychopathes et des névrosés ; mais il reste un résidu d’attestations et un nombre suffisant de témoins dignes de foi pour établir ce témoignage et forcer notre croyance en sa véracité. Ces témoins du monde invisible ont parlé avec des formules de pouvoir ; ils ont transmis des messages qui ont façonné la pensée des hommes et dirigé des millions de vies. Ils ont prétendu qu’il y avait une science de la connaissance spirituelle et une technique par laquelle les hommes pouvaient parvenir à l’expérience mystique et connaître Dieu. C’est cette science que nous étudierons dans ce livre, cette technique que nous essayerons d’exposer.

 Cela concerne l’emploi exact de l’intellect par lequel se révèle le monde des âmes, se découvre et s’ouvre cette porte secrète qui conduit de l’obscurité à la lumière, de la mort à l’immortalité et de l’irréel au Réel.

 La solution ultime de notre problème mondial est dans l’obtention de cette connaissance, connaissance qui n’est propre ni à l’Orient ni à l’Occident, mais qui est connue de l’un et de l’autre. Quand nous aurons donné la main à l’Orient, nous aurons un enseignement synthétique équilibré, qui libérera les générations futures. Il faut commencer par ce qui est d’ordre éducatif et par la jeunesse.

 En Occident, la conscience a été fixée sur l’aspect pratique de l’existence et notre pouvoir mental est concentré sur le contrôle et l’utilisation des choses matérielles, le perfectionnement du confort et l’accumulation des biens. En Orient, où les réalités spirituelles ont été plus uniformément poursuivies, l’intellect a été employé à la concentration et à la méditation, à de profondes études philosophiques et métaphysiques. Mais les masses populaires, incapables de ces activités, ont été maintenues dans des conditions particulièrement terribles, au point de vue de l’existence physique. Par la fusion des acquisitions des deux civilisations (fusion qui se poursuit maintenant avec une rapidité croissante) un équilibre s’établit au moyen duquel la race, dans son ensemble, pourra démontrer la plénitude de sa puissance. L’Orient et l’Occident apprennent graduellement à tirer avantage l’un de l’autre et le travail dans cet ordre est une des choses fondamentales du cycle présent.

CHAPITRE III

LA NATURE DE L'AME

 

 Qu’est-ce que l’Ame ?

La nature du mécanisme humain.

Son rapport avec "l’Etre plus profond".

"Les philosophes disent que l’âme a deux faces : sa face supérieure qui contemple Dieu sans cesse et sa face inférieure qui regarde quelque peu vers le bas, instruisant les sens ; et la face supérieure, qui est le sommet de l’âme, est dans l’éternité et n’a point affaire avec le temps ; elle ne sait rien du temps ou du corps."

 MAITRE ECKHART.

 

En détaillant la technique par laquelle on prétend que l’intellectuel cultivé peut devenir le connaisseur intuitif, il est peut-être bon d’exposer les hypothèses sur lesquelles la science de la méditation est basée. Dans le processus, les divers aspects (de la nature ou de la divinité, suivant la préférence) dont l’homme est l’expression doivent être reconnus, mais la connexion fondamentale qui le maintient à l’état d’unité intégrée ne doit jamais être oubliée. L’homme est un être intégré, mais l’existence signifie davantage pour certains hommes que pour d’autres. Pour les uns, c’est une existence purement animale ; pour d’autres, elle inclut la somme des expériences émotives et sensorielles ; pour d’autres encore elle comprend tout cela plus une connaissance mentale qui rend la vie infiniment plus riche, plus profonde. Pour un petit nombre (la fleur de la famille humaine) l’existence représente la capacité reconnue d’enregistrer des contacts qui sont universels et subjectifs autant qu’individuels et objectifs. Keiserling dit :

 Lorsque nous parlons de l’Etre d’un homme en opposition avec ses capacités, nous voulons dire son âme vitale ; et lorsque nous disons que cet Etre décide, cela signifie que toutes ses paroles sont pénétrées de vie individuelle, que chaque expression irradie la personnalité et que cette personnalité est finalement responsable.

 Keiserling, comte Hermann, Creative Understanding, p. 180.

 

Il est bon de déclarer ici comme étant la condition sine qua non que seuls les êtres pensants et responsables sont qualifiés pour l’application de ces règles et de ces instructions qui les rendront capables d’effectuer cette transition et d’atteindre à cette conscience qui est le signe distinctif du mystique illuminé et du connaisseur intuitif.

 Les magnifiques lignes, qui se trouvent dans l’ouvrage "Illuminanda" du Dr Winslow Hall, indiquent le but :

 "Dans tous les hommes, se cache la lumière ; pourtant en petit nombre

Sont ceux où elle a flamboyé, aussi pleinement qu’elle le devait, Illuminant, de l’intérieur, notre lampe charnelle, Et embrasant la flamme cosmique dans les âmes qui s’en sont approchées Splendeur de Dieu, combien rares ! Et c’est notre faute ; Car, toujours, grossièrement, par routine et par colère Sans discernement nous étouffons, nous étranglons L’étincelle divine qui brille en chaque enfant. Tous les enfants sont, par essence, des fragments de Dieu ;

Dieu, s’ils avaient leur liberté, éclorait en eux Il se déploierait, les teintant et les façonnant, jusqu’à ce que, Fleurs parfaites, ils s’épanouissent dans la plénitude de la Beauté dévoilée".

 1 Hall, W. Winslow, M. D., Illuminanda p. 218.

 

Le but de la méditation est de conduire les hommes à la lumière qui est en eux et de les rendre capables, en cette lumière, de voir la Lumière. Ce travail de révélation est basé sur certaines théories définies, concernant la constitution et la nature de l’être humain. L’évolution et la perfection de la faculté mentale dans l’homme, avec son acuité et sa capacité de concentration, fournit aujourd’hui, à l’Occident, l’occasion de mettre ces théories à l’épreuve.

 "Si quelque chose de décisif doit arriver", dit Keiserling c’est, "la nouvelle synthèse de l’intellect et de l’âme qui doit avoir son origine dans le mental, au suprême sommet de l’intellectualité". (2 Ibid., p. 125.) Mais, pour accomplir cela, il faut comprendre clairement trois points sur lesquels la position orientale est basée et qui, s’ils sont vrais, rendent valide l’effort de l’étudiant de la technique orientale de la méditation, sans oublier cependant, comme le dit le proverbe chinois, "que le bon moyen, employé par l’homme inapte, donnera de mauvais résultats".

 Ces trois prémisses sont :

 Primo : Il y a une âme dans toute forme humaine et cette âme se sert des aspects inférieurs de l’homme comme de véhicules ou moyens d’expression. L’objectif de l’évolution est d’augmenter, d’intensifier le contrôle de l’âme sur cet instrument. Quand ceci est accompli, nous avons une divine incarnation.

 Secundo : Nous appelons personnalité la somme des aspects inférieurs quand ils sont développés et coordonnés. Cette unité est composée des états mentaux et émotifs de l’être, de l’énergie vitale, de l’appareil physique de réponse, qui "masquent" ou cachent l’âme. Suivant la philosophie orientale, ces aspects se développent successivement et progressivement, et c’est seulement quand l’homme a atteint un degré relativement haut de développement, qu’il lui est possible de les coordonner et ultérieurement, de les unir, dans la conscience, à l’âme immanente. Plus tard vient le contrôle par l’âme et l’expression croissante de la nature de l’âme. Ceci est quelquefois représenté symboliquement comme une lumière dans une lampe. D’abord la lampe n’irradie aucune clarté, mais graduellement la lumière fait sentir sa présence et les paroles du Christ deviennent claires. Il dit : "Je suis la Lumière du Monde" et Il enjoint à ses disciples de "laisser briller leur Lumière afin que les hommes voient".

 Tertio : Quand la vie de l’âme, conformément à la Loi de Renaissance, a conduit la personnalité au point où elle est une unité intégrée et coordonnée, alors, il y a entre les deux une action réciproque plus intense.

Celle-ci est amenée par l’application de la discipline de soi-même, par une volonté active tendant à l’Existence Spirituelle, par le service altruiste (car c’est le mode par lequel l’âme consciente du groupe se manifeste) et par la méditation. La consommation du travail est la réalisation consciente de ce que la terminologie chrétienne nomme : l’Union.

 Ces trois hypothèses doivent être acceptées, au moins provisoirement, pour que le procédé de l’éducation par la méditation soit effectif. Dans le dictionnaire de Webster, la définition de l’âme est conforme à ces théories ; la voici :

 Une entité conçue comme l’essence, la substance ou la cause actionnant la vie individuelle ; spécialement, la vie qui se manifeste dans les activités psychiques ; le véhicule de l’existence individuelle, séparé du corps par nature et généralement tenu comme existant séparément.

 1 Webster's New International Dictionary, édition 1923.

 

Webster ajoute le commentaire suivant, bien approprié à notre thème :

"Certaines conceptions telles que celle de Fechner, considérant l’âme comme la totalité du procédé spirituel d’unification en conjonction avec la totalité du procédé corporel d’unification, semblent tenir le milieu entre les points de vue idéaliste et matérialiste. (Ibid.) Le point de vue strictement oriental nous est présenté de la façon suivante par le Dr Radhakrishnan, de l’Université de Calcutta :

 Tous les êtres organiques possèdent un principe d’autodétermination, auquel, en général, le nom d’ "âme" est donné. Au sens strict du mot, l’âme appartient à tout être qui a la vie en lui, et les différentes âmes sont fondamentalement identiques de nature. Les différences sont dues aux organisations physiques qui obscurcissent et gênent la vie de l’âme. La nature des corps dans lesquels les âmes sont incorporées est cause de leurs divers degrés d’obscurcissement... L’Ego est l’unité psychologique de cette succession d’expériences conscientes que nous connaissons comme la vie intime d’un soi empirique.

 Le soi empirique est le mélange de l’esprit libre et du mécanisme, de purusha et de prakriti... Chaque ego possède dans le corps dense qui se dissout à la mort un corps subtil formé par l’appareil psychique, incluant les sens.

 Radhakrishnan, S. Indian Philosophy, vol. II, pp.279, 283, 285.

 

On nous dit que l’âme est un fragment de l’Ame générale une étincelle de la Flamme unique, emprisonnée dans le corps. C’est cet aspect de la vie qui donne à l’homme, comme à toutes les formes en manifestation, la vie ou l’être et la conscience. C’est le facteur vital, ce quelque chose de cohérent, d’intégrant qui fait de l’être humain (tout composé et cependant unifié qu’il soit) une entité pensante, sentante et qui aspire. L’intellect, dans l’homme, est ce facteur ou qualité de connaissance-animique, qui le rend capable de s’orienter par rapport à son entourage, pendant qu’il est soumis au développement, mais qui, plus tard, par une méditation adéquate, le rendra capable de s’orienter vers l’âme, détaché du mécanisme, donc vers de nouveaux états de connaissance.

 Le rapport entre l’âme et l’Ame générale est le rapport entre la partie et le tout et c’est cette relation et sa reconnaissance qui donnent naissance à ce sens de l’unité avec tous les êtres et avec la Suprême Réalité, dont les mystiques ont toujours témoigné. Le rapport entre l’âme et l’être humain est le rapport entre l’entité consciente et son milieu ; entre le penseur et l’instrument de la pensée ; entre celui qui enregistre le sentiment et le champ de l’expérience sensorielle ; entre l’acteur et le corps physique ; le seul moyen de contact avec le champ d’activité particulier, le monde de la vie physique. Cette âme s’exprime à travers deux formes d’énergie, celle que nous appelons le principe vital ou fluide, l’aspect vie, et l’énergie de la raison pure. Ces énergies, pendant la vie, sont concentrées dans le corps physique. Le courant de vie a son foyer dans le c.ur, utilisant le sang, les artères, les veines et animant toutes les parties de l’organisme ; l’autre courant, celui de l’énergie intellectuelle, a son centre dans le cerveau et utilise le système nerveux comme moyen d’expression. Par conséquent, le siège du principe vital est dans le cœur ; dans la tête se trouve celui de l’intellect raisonneur et de la conscience spirituelle, à laquelle on parvient ultérieurement par l’emploi judicieux de l’intellect. Au sujet du mot "âme", le Dr C. Lloyd Morgan dit :

 En tout cas, ce que l’on entend généralement par "la théorie de l’âme", s’appuie sur le dualisme. Et, ce que certains entendent, en parlant d’une "psychologie sans l’âme", est une psychologie non dualiste... Il y a cependant une interprétation qui permet, sous réserve de donner des définitions convenables, de parler de l’âme comme distincte de ce niveau du développement mental marqué par le fait qu’un concept de l’esprit apparaît dans le champ de l’aperception réfléchie.

 Morgan C. Lloyd, Life, Mind and Spirit, p. 35.

 

Antérieurement il est dit, dans le même livre, que :

 Chacun de nous est une vie, un intellect et un Esprit, une évidence de la vie, en tant qu’expression d’un plan universel, une évidence de l’intellect, en tant qu’expression différente de ce plan universel, une évidence de l’Esprit, dans la mesure où la Substance de ce plan universel se révèle en nous-mêmes.

Le plan universel, d’outre en outre, depuis son expression la plus inférieure jusqu’à son expression la plus élevée, est une manifestation de Dieu, en vous, en moi, en chacun séparément, Dieu est partiellement révélé comme Esprit.

 Ibid., pp. 35, 32.

 

C’est cette révélation de la Déité qui est le but de l’entreprise mystique et l’objet de la double activité de l’intellect. Dieu comme vie dans la nature, Dieu comme Amour, subjectivement, et comme plan, comme but ; et c’est cela que l’unification amenée par la méditation révèle à l’homme. Par sa technique ordonnée, l’homme découvre cette unité qui est lui-même, et, plus tard, sa relation avec l’univers ; il trouve que son corps physique et ses énergies vitales sont une partie de la Nature même qui, en fait, est le vêtement extérieur de la Déité, il découvre que sa capacité d’aimer, de sentir, le rend conscient de l’amour qui bat dans le c.ur de toute la création ; et il découvre que son intellect peut lui donner la clé qui ouvre pour lui la porte de la compréhension et qu’il peut pénétrer les desseins et le plan guidant l’intellect de Dieu Lui-même. En fait, il parvient à Dieu, il découvre Dieu comme fait central. Se sachant divin, il trouve que tout est également divin Le Dr F. Kirtley-Mather, de l’Université de Harvard a écrit, dans un article des plus lumineux :

 On ne peut nier qu’il y ait une administration de l’Univers.

Quelque chose a déterminé et continue à déterminer le fonctionnement de la loi naturelle, la transformation ordonnée de la matière et de l’énergie. Cela peut être "la Courbe du Cosmos", "le Hasard aveugle" ou, "l’Energie Universelle", ou "un Jéhovah absent" ou "l’Esprit pénétrant tout", mais ce doit être quelque chose. A un certain point de vue, la question : Y a-t-il un Dieu ? Reçoit une prompte réponse affirmative.

 Ainsi, par la découverte de lui-même et la compréhension de sa propre nature, l’homme parvient à ce centre en lui, qui est un avec tout ce qui est ; il découvre qu’il est muni d’un instrument qui le met en contact avec les différentes manifestations à travers lesquelles Dieu cherche à s’exprimer. Il possède un corps vital réagissant à l’énergie universelle et servant de véhicule aux deux formes d’énergie de l’âme auxquelles j’ai fait allusion plus haut. La question du corps vital, de ses rapports avec l’énergie universelle et de ses sept points de contact avec l’organisme physique a été approfondie dans mon livre L'Ame et son mécanisme, elle ne sera pas reprise ici à l’exception de ce paragraphe :

 Derrière le corps objectif se trouve une forme subjective faite de substance éthérique et agissant comme conducteur du principe vital de l’énergie ou prana. Ce principe de vie est l’aspect force de l’âme et, par l’intermédiaire du corps éthérique, L’âme anime la forme, lui donne ses particularités et ses attributs, elle imprime sur elle ses désirs et la dirige, enfin, par l’activité de l’intellect. Par l’intermédiaire du cerveau, l’âme galvanise le corps, l’incite à une activité consciente (dirigée) et, par l’intermédiaire du cœur, imprègne de vie toutes les parties du corps.

 1 Bailey Alice A., The Soul and Its mechanism, p. 62.

 

Il y a un autre "corps" qui est composé de la somme des états émotifs, des dispositions et des sentiments. Ce corps réagit à l’entourage physique de l’homme, en réponse aux informations reçues par le cerveau au moyen des cinq sens, et qui sont communiquées par l’intermédiaire du corps vital. Ainsi, il est mis en activité pour des fins purement égoïstes et de nature personnelle ; ou bien il peut être dressé à réagir primordiale ment à l’intellect, celui-ci étant considéré (cela est très rare) comme l’interprète du Soi supérieur, de l’âme.

Dans la plupart des cas, c’est le corps émotionnel, caractérisé par le sentiment et le désir, qui agit le plus puissamment sur le corps physique. Ce dernier est regardé par les ésotéristes comme un pur automate, mis en action par le désir et stimulé par l’énergie vitale.

 A mesure que la race progresse, un autre "corps", le corps mental, naît, entre en activité et, graduellement, assume un contrôle naturel et actif. Comme pour les organismes physiques et émotionnels l’orientation du mécanisme est d’abord entièrement objective ; elle est mise en branle grâce aux sollicitations lui parvenant du monde extérieur par la voie des sens. Devenant de plus en plus positif, il commence à dominer lentement mais sûrement les autres aspects phénoménaux, jusqu’à ce que la personnalité sous ses quatre aspects soit complétée, unifiée en une entité fonctionnant sur le plan physique. Quand cela se produit, un palier est atteint et de nouveaux développements sont possibles.

Pendant tout ce temps, les deux énergies de l’âme, la vie et l’intellect ont travaillé à travers les véhicules, sans que l’homme soit averti de leur source et de leur but. Comme résultat de leur travail, il est maintenant un être humain de haut grade, intelligent, actif. Mais, comme le dit Browning : "Dans l’homme complété, de nouveau une tendance vers Dieu commence" (Browning Robert, Paracelsus.) et il est poussé par une divine inquiétude vers une connaissance consciente de son âme avec laquelle il désire entrer en contact sciemment, son âme, le facteur invisible qu’il sent, mais dont il est personnellement ignorant. Maintenant, il inaugure un mode d’éducation de soi et d’intense investigation de sa vraie nature.

Sa personnalité qui était tournée vers le monde de la vie physique, émotive et mentale, ayant son attention objectivement concentrée, subit une réorientation et se tourne intérieurement vers le Soi. Son centre devient subjectif, dans le but de susciter la manifestation de cet "Etre plus profond" dont parle Keiserling.

L’union consciente avec l’âme est recherchée et cela non pas seulement sous l’angle émotif et sensoriel du dévot et du mystique. L’expérience directe est voulue. La connaissance du Soi divin, et la certitude mentale, quant au fait de l’existence immanente du Fils de Dieu dans le Soi, deviennent le but de toute entreprise. Cette méthode n’est pas celle du dévot mystique qui a cherché Dieu sous la pression de l’amour de sa nature émotive. C’est la méthode de l’accès intellectuel et de la subordination de la personnalité entière à l’attraction des réalités spirituelles. Tous les individus purement intellectuels et toutes les personnalités vraiment coordonnées sont mystiques de cœur et ont passé par une étape mystique à un moment donné, dans une vie ou une autre. A mesure que l’intellect s’affirme et que le mental se développe, le mysticisme peut s’effacer temporairement, passer à l’arrière-plan et se trouver relégué pour un temps dans le domaine du subconscient. Mais le point accentué finalement et inévitablement, c’est la volonté de connaître et la direction de la vie (qui n’est plus satisfaite des aspects extérieurs et externes de la manifestation) sera dans le sens de la connaissance de l’âme, et l’emploi de l’intellect dans l’appréhension de la vérité spirituelle.

 La tête et le cœur s’unissent dans l’entreprise. L’intellect et la raison pure fusionnent avec l’amour et la dévotion dans un complet réajustement de la personnalité à un nouveau domaine de la connaissance. Des états de conscience inconnus sont enregistrés, un nouveau monde phénoménal est graduellement perçu, et l’aspirant commence à entrevoir que le centre de sa vie et sa conscience peuvent être complètement soulevés hors du champ de ses entreprises passées. Il découvre qu’il peut marcher avec Dieu, demeurer aux Cieux, être averti d’un nouveau monde, situé à l’intérieur des formes extérieures familières. Il commence à se considérer comme l’habitant d’un autre royaume de la nature, le monde spirituel, qui est aussi réel, aussi vital, aussi ordonné et aussi phénoménal qu’aucun de ceux que nous connaissons actuellement. Il assume fermement l’attitude de l’âme vis-à-vis de son instrument, le corps humain. Il ne se considère plus comme un homme contrôlé par ses émotions, poussé par l’énergie, et dirigé par son intellect, mais il se connaît comme étant le Soi, pensant par l’intellect, sentant par les émotions et agissant consciemment. Tandis que cet état de conscience se stabilise et devient permanent, le travail de l’évolution dans son cas est consommé et la grande fusion est accomplie, l’union entre le Soi et son véhicule est établie. Ainsi un divin Fils de Dieu s’incarne consciemment.

 Par le travail de l’éducation, dans toutes ses nombreuses branches, la coordination de la personnalité a été prodigieusement hâtée. L’intellect de la race s’élève rapidement sur l’échelle de l’accomplissement. L’humanité, par ses vastes groupes de gens éduqués, mentalement concentrés, est prête à la détermination de soi, et à être dirigée par l’âme. Maintenant, la culture intense de l’individu, telle qu’elle est enseignée dans le système oriental, peut être entreprise. L’éducation et la réorientation de l’être humain avancé doivent trouver leur place dans l’éducation collective. Cela est la raison de ce livre et son objet.

 Comment l’homme peut-il trouver son âme ou s’informer sur le fait de son existence ?

Comment peut-il se réajuster aux conditions de la vie de l’âme et comment fonctionner consciemment et simultanément comme âme et comme homme ?

Que doit-il faire pour amener l’union entre l’âme et son instrument, ce qui est essentiel si l’aspiration de sa nature doit jamais être satisfaite ?

Comment peut-il savoir, et non pas simplement croire, espérer et aspirer ?

 La voix expérimentée de la Sagesse Orientale vient à nous avec un mot : la Méditation. Naturellement, la question se pose : est-ce tout ? Et la réponse est : oui. Si la méditation est suivie correctement, et si la persévérance est la caractéristique de l’existence, alors le contact avec l’âme s’établira d’une manière croissante. Les résultats de ce contact se traduiront par la discipline de soi, la purification, l’aspiration et par une vie de service.

 La méditation, au sens oriental du mot, est un procédé strictement mental, conduisant à la connaissance de l’âme et à l’illumination. C’est un fait dans la nature que "comme un homme pense, tel il est".

CHAPITRE IV

 LES OBJECTIFS DE LA MÉDITATION

 

 Comparaison entre la méditation et la prière.

 L’intellect humain comme faculté.

 Son emploi par rapport à l’intuition.

 L’instinct, l’intellect, l’intuition et l’illumination.

 "L’union est obtenue en subjuguant la nature psychique et par la contrainte de la substance mentale. Quand ceci est accompli, le Yogi se connaît tel qu’il est en réalité "

 PATANJALI.

 

Admettant l’exactitude des théories esquissées dans les chapitres précédents, il est peut-être utile d’exposer clairement vers quel but précis tend l’homme cultivé, lorsqu’il entre dans la voie de la méditation et en quoi cette voie diffère de ce que les chrétiens appellent prière. Une notion précise de ces deux points est essentielle si nous voulons progresser, car la tâche qui attend l’investigateur est ardue ; il lui faudra plus qu’un enthousiasme éphémère et un effort temporaire s’il veut venir à bout de cette science et bénéficier de sa technique. Considérons le dernier point en premier et comparons les deux méthodes, celle de la prière et celle de la méditation. Peut-être la prière peut-elle être définie au mieux par ces lignes de J. Montgomery, qui nous sont bien connues :

 La prière est le désir sincère de l’âme,

 Exprimé ou non exprimé ;

 Le mouvement d’un feu caché

 Qui tremble dans la poitrine.

 Dans la prière, la pensée est celle d’un désir, d’une requête ; et la source du désir est le cœur. Mais il faut se rappeler que le désir du cœur peut avoir pour objet soit l’acquisition des biens que la personnalité convoite, soit celle des biens célestes et transcendants, auxquels l’âme aspire. Dans l’un et l’autre cas, l’idée fondamentale est de demander ce que l’on souhaite et le facteur anticipation intervient ; quelque chose est finalement acquis, pourvu que la foi du suppliant soit assez forte.

 La méditation diffère en ce qu’elle est en premier lieu une orientation de l’intellect, laquelle amène des réalisations, des récognitions qui deviennent une connaissance formulée. Il existe une grande confusion dans les esprits quant à cette distinction et Bianco de Sienne parlait bien de la méditation quand il disait :

 Qu’est donc la prière, sinon le mouvement de l’intellect se tournant directement vers Dieu.

 Les masses polarisées dans leur nature émotionnelle et à tendance mystique prédominante demandent ce dont elles ont besoin ; elles combattent dans la prière pour l’acquisition de vertus désirées, elles supplient une Déité attentive d’apaiser leurs difficultés ; elles intercèdent pour ceux qui leurs sont proches et chers ; elles importunent les Cieux afin d’obtenir ces biens matériels ou spirituels qu’elles sentent essentiels à leur bonheur. Elles aspirent à des qualités, elles souhaitent des circonstances qui rendront leur existence plus facile, ou les libéreront pour des fins qu’elles croient plus utiles ; elles agonisent en prière, implorant le soulagement de leurs souffrances et de leurs maladies, et elles cherchent à obtenir de Dieu une réponse à leurs prières pour une révélation. Mais demander, réclamer et attendre sont les principales caractéristiques de la prière, avec le désir prédominant et le cœur engagé. C’est la nature émotive et la partie sentante de l’homme qui recherche ce qui est nécessaire, et les besoins sont multiples, vastes et réels. C’est l’accès par le cœur.

 On peut reconnaître quatre degrés de prière :

 1. La prière pour des bénéfices matériels et pour une aide ;

2. La prière pour des vertus et des grâces de caractère ;

3. La prière pour autrui, prière d’intercession ;

4. La Prière pour l’illumination et pour la divine réalisation.

 On verra, à l’étude de ces quatre types de prière, qu’elles ont toutes leurs racines dans la nature émotionnelle (désir) et que la quatrième amène l’aspirant au point où la prière peut finir et la méditation commencer. Sénèque dut comprendre cela quant il écrivit : "Aucune prière n’est nécessaire, excepté pour demander un bon état d’esprit et la santé (la plénitude) de l’âme."

 La méditation fait monter le travail sur le plan mental, le désir fait place au travail pratique préparant au divin savoir, et l’homme qui avait commencé sa longue carrière et l’expérience de la vie avec le désir comme qualité fondamentale, ayant atteint le stade de l’adoration de la divine Réalité vaguement entrevue, cet homme passe maintenant hors du domaine mystique dans celui de l’intellect, de la raison et d’une finale réalisation. La prière, plus un altruisme discipliné, produit le mystique ; la méditation, plus le service discipliné, organisé, produit le connaisseur. Le mystique, comme nous l’avons vu, perçoit les divines réalités et (du haut de son aspiration) entre en contact avec la vision mystique ; il aspire perpétuellement à la répétition constante de l’état extatique dans lequel la prière, l’adoration et la vénération l’ont plongé. Il est généralement incapable de répéter à volonté cette initiation.

Le Père Poulain, dans Des grâces de l'Oraison, maintient qu’aucun état n’est mystique à moins que le voyant soit incapable de le produire lui-même. Dans la méditation, le cas est inverse ; et par le savoir et la compréhension, l’homme illuminé est capable d’entrer à volonté dans le domaine de l’âme et de participer intelligemment à sa vie et à ses états de conscience. L’une des méthodes implique la nature émotionnelle et est basée sur la croyance en un Dieu qui peut donner ; l’autre implique la nature mentale et est basée sur la croyance en la divinité de l’homme lui-même quoiqu’il ne nie pas les prémisses de l’autre groupe.

 On découvrira cependant que le mot mystique est employé dans un sens très large, qui couvre non seulement le pur mystique, avec ses visions et ses réactions sensorielles, mais aussi ceux qui passent dans le royaume de la connaissance pure et de la certitude. Il couvre ces états inattendus et intangibles, étant basés sur la pure aspiration et la dévotion, et aussi ceux qui sont le résultat d’une approche ordonnée intelligente, de la Réalité et qui sont susceptibles de répétition grâce aux lois que le connaisseur a apprises. C’est de ces deux groupes que Bertrand Russel traite d’une façon des plus intéressantes, quoiqu’il emploie le terme mystique dans les deux cas. Ses paroles forment un prélude séduisant à notre thème. 

 La philosophie mystique, dans tous les temps et dans toutes les parties du monde, est caractérisée par certaines croyances qui sont illustrées par les doctrines que nous avons considérées.

 Il y a d’abord la croyance en la connaissance opposée au savoir discursif et analytique ; la croyance en un mode de sagesse subit, pénétrant, coercitif, qui contraste avec la lente et faillible étude de l’apparence extérieure, par une science reposant entièrement sur les sens.

La connaissance mystique commence par un sens de mystère dévoilé, de sagesse cachée devenue soudainement certaine, sans doute possible. Le sentiment de certitude et de révélation devance toute croyance définie. Les croyances définies auxquelles les mystiques parviennent sont le résultat de la réflexion sur la connaissance gagnée au cours de l’expérience...

Le premier et le plus direct résultat du moment d’illumination est la croyance en la possibilité d’un mode de savoir qui peut être appelé révélation, connaissance, ou intuition, par contraste avec les sens, la raison et l’analyse qui sont considérés comme des guides aveugles conduisant aux marécages de l’illusion. La conception d’une Réalité au-delà du monde des apparences, et entièrement différente de lui, est intimement liée à cette croyance. Cette Réalité est considérée avec une admiration allant parfois jusqu’au culte ; elle est perçue comme proche, partout et toujours, faiblement voilée par les artifices des sens et prête à briller dans toute sa gloire pour le mental réceptif, en dépit de l’apparente folie et de la méchanceté des hommes.

 Le poète, l’artiste et l’amoureux sont les chercheurs de cette gloire : la beauté qui les hante et qu’ils poursuivent en est le faible reflet. Mais le mystique vit dans la pleine lumière de la vision : ce que les autres cherchent vaguement, lui le sait d’un savoir auprès duquel tout savoir est ignorance. La seconde caractéristique du mysticisme est la croyance en l’unité et le refus d’admettre l’opposition ou la division où que ce soit.

 Une troisième marque de presque toutes les métaphysiques mystiques est la négation de la réalité du temps.

Ceci est le résultat de la négation de la division ; si tout est un, la distinction entre le passé et l’avenir doit être illusoire...

 La dernière des doctrines du mysticisme que nous ayons à considérer est la croyance que le mal est une simple apparence, une illusion produite par les divisions et les oppositions de l’intellect analytique. Le mysticisme ne prétend pas que les choses telles que la cruauté, par exemple, soient bonnes, mais il nie qu’elles soient réelles ; elles appartiennent au monde inférieur des fantômes desquels nous devons nous libérer par la vision... (Russell Bertrand, Mysticism and Logic, pp. 8, 9, 10, 11)

 Mais le chemin du mystique prépare au chemin du savoir et quand le mystique s’arrête en adoration devant la vision, aspirant au Bien-Aimé, le chercheur, aspirant à la connaissance véritable, saisit la tâche et continue le travail.

 Le Dr Bennett, de Yale, à la fin de son livre sur le mysticisme, dit :

 Le mystique, à la fin de sa préparation, attend simplement une apparition et un événement qu’il a soin de ne pas définir trop particulièrement ; il attend aussi, pleinement conscient que son effort l’a porté aussi loin qu’il puisse aller et que cela doit être complété par un contact quelconque, venant de l’extérieur.

 Bennett Charles A., A Philosophical Study of Mysticism, p. 192.

 Cette pensée limite l’idée au royaume de la perception sensorielle, mais il y a quelque chose de plus. Il y a une connaissance directe. Il y a une compréhension des lois qui gouvernent le nouveau royaume de l’être. Il y a une soumission à une nouvelle procédure comprenant des étapes, des mots de passe, qui conduisent à la porte et en provoquent l’ouverture. C’est ici que la méditation joue son rôle et que l’intellect intervient pour remplir sa nouvelle fonction : susciter la révélation. Par la méditation, l’union à laquelle le mystique aspire, qu’il pressent et de laquelle il a de brèves et fugitives expériences, devient définie et connue sans contredit, étant recouvrable à volonté.

 Le Père Joseph Maréchal, dans son remarquable ouvrage, fait observer que :

 (...) les symboles s’évanouissent, les images s’effacent, l’espace disparaît, la multiplicité est réduite, le raisonnement silencieux, le sentiment d’extension se rassemble et puis se rompt ; l'activité intellectuelle est entièrement concentrée en son intensité, elle saisit sans intermédiaire, avec la souveraine certitude de l’intuition, l’Etre, Dieu...

 L’intellect humain, alors, est une faculté en quête de son intuition, c’est-à-dire de l’assimilation de l’Etre, de l’Etre pur et simple, souverainement Un, sans restriction, sans distinction d’essence et d’existence, de possible, de réel.

 1 Maréchal Joseph S. J., Studies in the Psychology of the Mystics. pp. 32, 101.

 Prendre l’intellect, et le plier à sa nouvelle tâche de révélateur du divin, est maintenant l’objectif du mystique convaincu. Pour faire cela avec succès et avec bonheur, il aura besoin d’une vision précise de son but et d’une compréhension lucide des résultats consécutifs à démontrer. Il devra faire le compte exact des capacités, des déficiences et des défauts avec lesquels il aborde son entreprise. Il devra acquérir une notion de lui-même aussi équilibrée que possible et, parallèlement, une notion également équilibrée du but ; une compréhension du prodige de cette réalisation et des dons qui seront siens, quand son intérêt sera transféré des choses qui accaparent maintenant son attention, aux valeurs et aux standards plus ésotériques.

 Nous avons vu que la méditation est un procédé par lequel l’intellect est réorienté vers la Réalité et qui, convenablement employé, peut conduire l’homme dans un autre royaume de la nature, lui conférer un autre état de conscience et d’Etre, dans une autre dimension. Le but de cet accomplissement a été transféré dans des régions de pensée, de réalisations supérieures. Quels sont les résultats précis de cette réorientation ?

 L’on peut déclarer tout d’abord que la méditation est la science qui nous permet d’arriver à une expérience directe de Dieu. Ce en quoi nous vivons, nous mouvons et avons l’être, n’est plus l’objet d’une aspiration, ou le symbole d’une possibilité divine. Nous connaissons Dieu comme la Cause Eternelle et la source de tout ce qui est, nous inclus. Nous reconnaissons le Tout. Nous devenons un avec Dieu en devenant un avec notre propre âme immortelle et, quand cet événement prodigieux a lieu, nous découvrons que la conscience de l’âme individuelle est la conscience du tout et que la séparation, la division et les concepts du moi et du toi, de Dieu et de l’enfant de Dieu, se sont dissous dans la connaissance et la réalisation de l’unité. Le dualisme a fait place à l’unité. Ceci est le chemin de l’Union. La Personnalité intégrée a été dépassée par un procédé ordonné de déploiement de l’âme ; et une fusion consciente du soi personnel ou inférieur, avec le [21@73] Soi Supérieur ou Divin, a été suscitée. Cette dualité doit d’abord être réalisée et alors dépassée, avant que le Soi Réel devienne, dans la conscience de l’homme, le Suprême Soi. Il a été dit que les deux parties de l’homme, pendant de longs âges, n’ont rien eu en commun ; ces deux parties sont l’âme spirituelle et la nature de la forme, mais ces parties sont jointes éternellement par le principe mental (et c’est en cela que se trouve la solution du problème de l’homme). Dans un livre antique des Hindous, la Bhagavad-Gitâ, on trouve ces paroles significatives :

 Le Soi est l’ami du soi, pour celui en qui le soi est conquis par le Soi ; mais pour celui qui est loin du Soi, Son propre soi est hostile comme un ennemi. (Bhagavad-Gitâ, VI, 6.)

 

Saint Paul dit pratiquement la même chose, dans son cri désespéré :

 Je sais que le bien n’habite pas en moi, c’est-à-dire en ma chair, car vouloir le bien est en mon pouvoir, mais le faire non... Je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur, mais je vois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de ma raison et fait de moi le captif de la loi du péché, laquelle est dans mes membres. Malheureux que je suis ! Qui me délivrera (le Soi réel) du corps qui cause cette mort

 2 Romains, VII, 18, 22, 23, 24.

 

Le Soi réel est Dieu (...) Dieu triomphant, Dieu le Créateur, Dieu le Sauveur des hommes. C’est, selon les paroles de saint Paul, "Christ en nous, l’espérance de gloire". Cela n’est plus une théorie, mais un fait dans notre conscience.

 La méditation transforme nos croyances en faits réels et nos théories en expériences vécues. La déclaration de saint Paul demeure simplement un concept et une possibilité jusqu’à ce que, par la méditation, la vie du Christ soit évoquée et devienne le facteur dominant dans la vie quotidienne. Nous parlons de nous-mêmes comme étant divins et comme étant des fils de Dieu. Nous connaissons ceux qui ont démontré leur divinité au monde et qui se tiennent au premier rang de la recherche humaine, témoignant de facultés au-delà de notre portée. Nous sommes conscients, en nous-mêmes, d’efforts qui nous ont poussés vers le savoir, et d’incitations intérieures qui ont forcé l’humanité à monter l’échelle de l’évolution, jusqu’au degré actuel de ce que nous appelons les humains cultivés. Une divine instance nous a conduits de la condition préhistorique aux conditions de notre civilisation moderne. Par-dessus tout, nous connaissons ceux qui possèdent ou prétendent posséder une vision des choses célestes, que nous aspirons à partager, et qui attestent qu’il y a un chemin direct jusqu’au centre de la Divine Réalité, chemin, qu’ils nous demandent de suivre aussi. On nous dit qu’il est possible d’avoir une expérience directe et la note caractéristique de notre temps moderne peut se résumer en ces mots "de l’autorité à l’expérience".

 Comment pouvons-nous savoir ? Comment avoir cette expérience directe, libre de l’intrusion d’aucun intermédiaire ? Il est répondu qu’il y a une méthode qui a été suivie par des milliers d’êtres, et un procédé scientifique qui a été formulé et suivi par les penseurs de toutes les périodes et au moyen desquels ils sont devenus des connaisseurs. 

 L’éducation a peut-être accompli son travail principal en préparant l’intellect à entreprendre le travail de la méditation. Elle nous a appris que nous possédions cet instrument et nous a donné quelques-uns des moyens de nous en servir. Les psychologues nous ont beaucoup appris au sujet de nos réactions mentales et de nos habitudes instinctives. Maintenant l’homme doit prendre consciemment possession de son instrument et passer des stades initiaux de l’éducation aux salles des classes et aux laboratoires, où il est possible de faire de la recherche de Dieu l’objectif de l’éducation. Qui a dit que le monde n’était pas une prison mais un jardin d’enfants spirituel, où des milliers d’enfants essayaient d’épeler Dieu ? L’intellect nous envoie de-ci, de-là, tandis que nous apprenons à épeler la Vérité jusqu’à ce que le jour pointe où, épuisés, nous nous retirons en nous-mêmes et méditions ; alors, nous trouvons Dieu.

 Ainsi que le dit le Dr Overstreet : "Notre patiente recherche trouve alors son explication et prend sa signification. C’est le Dieu opérant en nous. Comme nous découvrons alors les valeurs plus durables, ou comme nous les créons, nous instaurons Dieu dans notre propre existence".

Overstreet H. A., The Enduring Quest, p. 265.

 

Nous pouvons encore définir la méditation comme la méthode par laquelle l’homme parvient à la Gloire dévoilée du Soi, par le rejet d’une forme après l’autre. L’éducation n’est pas uniquement procurée par les écoles et les universités. La plus grande de toutes les écoles est l’expérience de la vie même et les leçons que nous apprenons sont celles que nous attirons sur nous-mêmes, en nous identifiant avec une succession de formes (...) formes des plaisirs, formes de ceux que nous aimons, formes des désirs, formes des connaissances (...) la liste est sans fin. Car, les formes, que sont-elles sinon ces illusions que nous créons et que nous plaçons devant nous pour en faire l’objet de notre culte, ou ces idées du bonheur, de la vérité que d’autres ont créées et après lesquelles nous courons sans fin, pour découvrir qu’elles s’évanouissent en brouillard devant nos yeux fatigués ? Nous cherchons notre satisfaction dans des phénomènes de toutes sortes, seulement pour trouver qu’ils se changent en poussière et en cendres jusqu’à ce que nous atteignions ce quelque chose d’intangible mais d’infiniment réel qui leur donna l’être à tous. Celui qui voit dans les formes les symboles de la réalité est bien sur la voie qui conduit au toucher du Soi dévoilé. Mais cela nécessite une appréhension mentale et une intuition dirigée. Sir James Jeans eut-il un aperçu de ceci lorsqu’il dit :

 Des phénomènes viennent à nous, déguisés dans leur encadrement de temps et d’espace ; ils sont des messages chiffrés dont nous ne découvrons pas la signification ultime avant de les avoir dépouillés de leur enveloppe de temps espace.

 1 Jeans, Sir James, The Universe Around Us, p.339.

 L’homme est un point de lumière divine, caché au milieu de nombreuses enveloppes, comme est cachée la lumière dans une lanterne. Celle-ci peut être soit fermée et obscure soit ouverte et radiante. Elle peut être soit une lumière brillant devant les yeux des hommes ou bien une chose cachée, sans utilité pour autrui. On nous affirme dans les Yoga Sutras de Patanjali, ce livre fondamental sur la méditation, dont j’ai fourni une paraphrase dans mon livre La Lumière de l'âme (Bailey Alice A., The Light of the Soul, II, 52.), que par la juste discipline et la méditation : "Ce qui obscurcit la lumière est graduellement supprimé" et que "lorsque l’intelligence spirituelle (...) se reflète dans la substance mentale alors vient la connaissance du Soi". A un point de l’histoire de tout être humain, une crise importante survient, lorsque la lumière doit être perçue grâce à l’emploi approprié de l’intelligence et que l’on doit inévitablement entrer en contact avec le Divin. Patanjali insiste sur ce point quand il dit : "Le transfert de la conscience, d’un véhicule inférieur à n véhicule supérieur, fait partie du procédé créateur et évolutif."

 (Ibid., IV,)

 

Lentement et graduellement, le travail de la connaissance directe devient possible et la gloire qui est cachée en toute forme peut être révélée. Le secret est de savoir quand ce moment est venu et de saisir l’occasion. Meister Eckhart dit :

 Si l’âme était dépouillée de toutes ses enveloppes, Dieu se révélerait nu à sa vue et se donnerait à elle sans réserve.

Aussi longtemps que l’âme n’a rejeté ses voiles, si transparents soient-ils, elle est incapable de voir Dieu (Pfeiffer Franz, Meister Eckhart, p.114).

 

Ainsi l’Orient et l’Occident enseignent la même idée et par les mêmes symboles.

 La méditation est par conséquent un procédé ordonné par lequel l’homme trouve Dieu. C’est un système bien éprouvé et souvent employé, qui révèle infailliblement le divin. Les mots importants ici, sont "procédé ordonné".

Certaines règles doivent être suivies, certains degrés définis doivent être franchis et certains stades de développement expérimentés avant que l’homme puisse réellement recueillir les fruits de la méditation. Comme nous l’avons vu, c’est une partie du procédé évolutif et, comme toute chose dans la nature, cela est lent mais sûr, infaillible dans ses résultats. Il n’y a pas de désappointement pour l’homme qui est prêt à obéir aux règles et à travailler selon ce système. La méditation appelle le contrôle du soi en toute chose et, tant que le travail de la méditation lui-même n’est pas accompagné de l’accomplissement des autres exigences incluses dans le "procédé ordonné", tels que le contrôle de soi-même et le service actif, l’objectif ne sera pas atteint.

Le fanatisme est exclus. Ceci est clairement démontré dans la Bhagavad-Gitâ :

 Il n’y a pas de méditation pour l’homme qui mange trop ou trop peu ou pour celui dont l’habitude est de dormir trop ou trop peu. Mais pour celui qui est réglé dans sa nourriture, dans son travail, réglé aussi dans son sommeil et dans sa veille, la méditation devient le destructeur de souffrance.

Bhagavad-Gitâ, VI, 16-17.

 

La méditation peut être justement regardée comme une partie du procédé naturel qui, jusqu’ici, a porté l’homme en avant sur le chemin de l’évolution, d’un stade à peine au-dessus de l’animal, à la position actuelle de développement mental, de réussite expérimentale et de divine inquiétude. Son centre de conscience a changé, son attention a été dirigée patiemment vers un ordre de contacts toujours plus large.

 L’homme a déjà passé de l’état purement animal et physique à l’état intensément émotif et à la perception sensorielle ; et des millions d’individus demeurent dans cet état aujourd’hui. Mais, d’autres millions d’individus progressent au-delà de ceci, dans un champ de connaissance autre et supérieur, que nous appelons l’intellect. Toutefois, un nombre beaucoup plus restreint d’êtres passent dans la sphère où un ordre de contacts universels est possible. Nous les appelons les Connaisseurs. A travers toutes les méthodes employées, court le fil d’or du but divin, et c’est par la voie de la méditation que la conscience humaine est transférée dans le domaine de la réalisation et de la connaissance de l’âme. Ce procédé de dévoilement du Soi par la négation du côté forme de la vie et l’incapacité finale des enveloppes à le cacher, peut être décrit en terme de transmutation aussi bien qu’en ceux de transfert de la conscience.

 La transmutation est la modification des énergies mentales, émotionnelles et physiques, dirigées de telle sorte qu’elles servent à révéler le Soi et non pas seulement à révéler les natures psychique et corporelle.

 On nous dit, par exemple, que nous avons cinq instincts principaux en commun avec tous les animaux. Quand ces instincts sont employés pour des fins égoïstes et personnelles, ils augmentent la vie du corps, fortifient la forme et la nature matérielle et servent à cacher de plus en plus le Soi, l’homme spirituel. Ils doivent être transmués en leurs contreparties supérieures, car chaque caractéristique animale a son prototype spirituel. L’instinct de préservation doit finalement être remplacé par la compréhension de l’immortalité et,  "demeurant toujours dans l’Eternel", l’homme en pèlerinage sur la terre, accomplira sa destinée. L’instinct, qui incite le soi inférieur à se précipiter en avant et à forcer sa route vers l’altitude spirituelle, sera finalement transformé en domination du soi supérieur ou spirituel.

 L’affirmation du petit soi ou soi inférieur fera place à celle du Soi supérieur. Le sexe, qui est l’instinct animal gouvernant puissamment toutes les formes animales, fera place à une attraction supérieure et, sous ses plus nobles aspects, il amènera une attraction consciente et aboutissant à l’union de l’âme et de ses véhicules, tandis que l’instinct grégaire sera transmué en conscience du groupe.

Un cinquième instinct, à savoir l’incitation à chercher, à investiguer, qui caractérise tout intellect à un niveau élevé ou non, fera place à la perception intuitive et à la compréhension et ainsi le grand travail sera accompli, l’homme spirituel dominera sa création, l’être humain, et élèvera tous ses attributs et ses aspects jusqu’aux cieux.

 Par la méditation, la connaissance spirituelle croît dans l’intellect, et, partant de cette base du savoir ordinaire, nous élargissons patiemment notre compréhension du terme jusqu’à ce que la connaissance fusionne avec la sagesse. Ceci est la connaissance directe de Dieu, au moyen de la faculté mentale ; en sorte que nous devenons ce que nous sommes et pouvons manifester notre nature divine. Tagore dit quelque part : "La méditation est la pénétration dans quelque grande vérité jusqu’à ce que nous soyons possédés par elle", et la vérité et Dieu sont des termes synonymes. L’intellect connaît deux objets, nous dit-on : le monde extérieur par l’intermédiaire des cinq sens et du cerveau, et l’âme et son monde, par ce que nous pourrions appeler un emploi introversé du mental et par sa concentration intense sur un champ de contact nouveau et inhabituel. Alors "la substance mentale reflétant le connaisseur (le Soi) et le connaissable devient omnisciente... " elle devient l’instrument du Soi et agit comme agent d’unification."

 Bailey Alice A., The Light of the Soul, IV, 22-24.

 

Toute chose sera révélée à l’homme qui médite réellement. Il comprendra les choses cachées de la nature et les secrets de la vie de l’esprit. Il saura aussi comment il sait.

 Ainsi la méditation amène l’union, la fusion.

 Le mystique occidental pourra parler de l’union, tandis que son frère d’Orient parlera de Raja Yoga, ou d’union et de Libération, mais ils veulent dire la même chose, à savoir : que l’intellect et l’âme (le Christ en nous ou le Soi Supérieur) fonctionnent comme une unité, comme un tout coordonné, exprimant ainsi parfaitement la volonté du Dieu intérieur. René Guénon, dans son livre L'homme et son devenir, fait sur le mot "union" un intéressant commentaire qui a sa place ici :

 La réalisation de cette identité est effectuée par le Yoga, c’est-à-dire par l’union intime et essentielle de l’être avec le Divin Principe, ou, si l’on préfère, avec l’Universel. La signification exacte du mot (Yoga) est "union" et rien d’autre... Il est à noter que cette réalisation ne doit pas être regardée strictement comme un "achèvement" ou comme la production d’un résultat non préexistant, selon l’expression de Sankarâchârya, car l’union en question, bien que non actuellement réalisée, au sens auquel nous l’entendons, n’en existe pas moins en puissance, ou plutôt virtuellement ; ce qui est impliqué est principalement l’obtention effective par l’être individuel (...) de la conscience de ce qui est véritablement de toute éternité.

 Guénon René, Man and his Becoming, p. 37.

 

Par les étapes ordonnées du procédé de la méditation une relation est établie graduellement, avec persévérance, entre l’âme et ses instruments, jusqu’au moment où ils sont littéralement un. Alors, les enveloppes servent simplement à déceler la lumière du Fils de Dieu intérieurement présent ; le corps physique est sous le contrôle direct de l’âme, car l’intellect illuminé transmet (comme nous le verrons plus tard) le savoir de l’âme au cerveau physique ; la nature émotive est purifiée et reflète simplement l’aspect amour de l’âme, comme l’intellect reflète les desseins de Dieu. Ainsi, les aspects séparatifs et jusqu’ici désorganisés de l’être humain sont synthétisés et mis en relation harmonieuse les uns avec les autres et avec l’âme, leur créateur, la source de leur énergie et de leur dynamisme.

 Cette science de l’union implique une discipline de la vie et un système expérimental de coordination. Sa méthode comporte la concentration de l’attention, le contrôle de l’intellect ou méditation ; elle est un mode de développement par lequel nous effectuons l’union avec l’âme et connaissons des états de conscience transcendants.

 

Les paroles familières de Browning le résument pour nous :

 "La Vérité est en nous ; elle ne prend pas son essor

A partir des choses extérieures, quoi que vous croyez.

Il existe un centre au plus profond de nous tous,

Où la vérité réside en plénitude ; et autour

Mur après mur, la chair grossière la voile et savoir

Consiste à frayer un chemin

D’où la splendeur emprisonnée puisse s’échapper

Plutôt qu’à pratiquer une entrée pour la lumière

Supposée être au-dehors."

 1 Browning, Robert, Paracelsus.

 

L’objet de la méditation est donc de rendre l’homme capable de manifester extérieurement ce qu’il est dans sa réalité intérieure et de le faire s’identifier avec son aspect âme et non simplement avec ses caractéristiques inférieures. C’est un procédé rapide quand il s’agit du développement de la conscience raisonnante, mais, dans ce cas, cela doit être appliqué à soi-même par soi-même et résulter d’une initiative personnelle. Par la méditation, le mental est employé comme un instrument servant à l’observation des états éternels ; avec le temps, il devient l’instrument de l’illumination et par lui, l’âme ou Soi transmet le savoir au cerveau physique. Finalement, la méditation suscite l’illumination. Meister Eckhart, dans son recueil de sermons, écrit au

XIVème siècle, dit :

 Trois sortes d’hommes voient Dieu. Les premiers Le voient par la foi ; ils ne connaissent pas plus de Lui qu’ils n’en peuvent découvrir à travers une cloison. Les seconds voient Dieu à la lumière de la grâce mais seulement comme la réponse à leurs aspirations, comme ce qui leur donne la douceur, la dévotion, l’intimité et autres choses semblables...

La troisième espèce voit Dieu dans la lumière divine.

 Pfeiffer Franz, Meister Eckhart, p. 191.

 

C’est cette lumière que le procédé de la méditation révèle et avec laquelle nous apprenons à travailler.

 Le cœur du monde est lumière et dans cette lumière nous verrons Dieu. En cette lumière nous nous découvrons. En cette lumière toute chose est révélée.

 Patanjali nous dit : "Quand les moyens de l’union ont été employés avec persévérance et quand l’impureté a été vaincue, la lumière se fait", conduisant à l’illumination totale. "L’intellect tend alors à une illumination croissante quant à la nature du Soi"

Bailey Alice A., The Light of the Soul, IV,26

 

L’irradiation de la lumière est le résultat de la méditation.

Cette "illumination est graduelle et se développe étape après étape".

 Ibid., III, 5-6.

 

Nous reprendrons ceci avec plus de détails, par la suite.

 Par la méditation et comme conséquences de tous les facteurs précédents, les pouvoirs de l’âme sont développés. Chacun des véhicules à travers lesquels l’âme s’exprime possède, à l’état latent, certaines forces inhérentes, mais l’âme, qui est leur source à toutes, les possède sous leur forme la plus pure, la plus sublimée. L’.il physique, par exemple, est l’organe de la vision physique. La clairvoyance est la même force manifestée dans ce qui est considéré comme le monde psychique, le monde de l’illusion, du sentiment et de l’émotion. Mais dans l’âme, ce même pouvoir se révèle comme perception pure et vision spirituelle infaillible. Les pouvoirs supérieurs correspondant aux pouvoirs physiques et psychiques sont mis en activité par la méditation et, ainsi, les remplacent. Ces pouvoirs se développent normalement et naturellement. Ceci non point parce qu’ils sont désirés ou consciemment développés, mais parce que, en même temps que le Dieu intérieur assume le contrôle de ses corps et les domine, ses pouvoirs apparaissent sur le plan physique et les forces potentielles se manifesteront alors en tant que réalités connues.

 Le vrai mystique ne se préoccupe ni des pouvoirs, ni des facultés, mais seulement du Possesseur de ces pouvoirs. Il se concentre sur le Soi et non pas sur les pouvoirs de ce Soi. A mesure qu’il fusionne avec la Réalité qui est lui-même, les pouvoirs de l’âme commencent à se manifester normalement, sans danger et utilement. Le procédé est résumé par Meister Eckhart en ces termes :

 Les pouvoirs inférieurs de l’âme devraient être aux ordres de ses pouvoirs supérieurs et ceux-ci aux ordres de Dieu ; ses sens extérieurs aux ordres de ses sens intérieurs et ceux-ci aux ordres de la raison ; la pensée aux ordres de l’intuition et l’intuition aux ordres de la volonté et le tout aux ordres de l’unité.

 1 Pfeiffer Franz, Meister Eckhart, p. 40.

 Les paroles du Dr Charles Whitby, traducteur du livre de René Guénon :

L'Homme et son devenir, sont appropriées à ce chapitre sur la méthode de la méditation. Il fait allusion à :

 L’écrasant témoignage confirmant l’accord réciproque, sur tous les points essentiels, des traditions ésotériques occidentales, hindoues, mahométanes et de l’Extrême-Orient.

La vérité que nous disons si témérairement inatteignable nous attend là en sa majesté sans changement et inchangeable, voilée, il est vrai, aux regards hâtifs et méprisants, mais toujours plus apparente aux chercheurs sincères et sans prévention. Selon Plotin l’acte de contemplation qui constitue essentiellement la vie de chaque individu et de l’humanité en entier monte graduellement et, par une progression naturelle et inévitable, de la Nature à l’Ame, de l’Ame à l’Intellect pur et de l’Intellect à l’Etre Suprême. S’il en est ainsi, la préoccupation actuelle des représentants les plus avancés de la pensée et de la science, quant aux matières psychiques et quasi psychiques, pourra, ou plutôt devra tôt ou tard faire place à une attention également sérieuse, apportée aux matières d’une importance supérieure et même de la plus grande importance.

 2 Guénon René, Man and his Becoming, p. X.

 Ainsi, l’on verra que la méditation nécessite une préparation très sévère,fait corroboré par le témoignage des mystiques et des initiés de tous les temps.

Le fait que d’autres aient atteint le but peut nous encourager, nous intéresser, rien de plus, à moins que nous-mêmes entrions en action, définitivement. Qu’il y ait une technique et une science de l’union basée sur le juste emploi du corps mental et sur son usage correct, peut être profondément vrai, mais ce savoir est sans but, à moins que chaque penseur n’use du procédé et en recherche le résultat. Il doit prendre une décision au sujet des valeurs impliquées et entreprendre de démontrer le fait du mental, ses rapports dans les deux directions (avec l’âme d’une part et, d’autre part, avec l’entourage quotidien) et finalement manifester sa capacité d’employer l’intellect à volonté, quand il choisit de le faire. Ceci implique le développement du mental en une synthèse,

ou sens commun, et gouverne son emploi par rapport au monde de la vie terrestre, des émotions et de la pensée. Cela comporte aussi son orientation à volonté vers le monde de l’âme et sa capacité d’agir comme intermédiaire entre l’âme et le cerveau physique. La première relation est développée et entretenue par une solide méthode d’éducation exotérique ; la seconde est rendue possible par la méditation, forme supérieure de l’éducation.

CHAPITRE V

LES ETAPES DE LA MEDITATION

 

 Ajustements émotifs et mentaux.

 Les cinq étapes de l’intellect à l’intuition :

 La Concentration,

 La Méditation,

 La Contemplation,

 L’illumination et l’Inspiration.

 L’emploi des symboles et des images.

 "Que ferais-tu, au-dedans, Anne, ma S.ur ?

 Que ferais-tu au-dedans ?

 Ferme la porte, la fenêtre que personne ne nous voit :

 Que seuls nous soyons

 (Seuls, face à face

 En ce lieu qu’éclaire la flamme !)

 Lorsque, pour là première fois,

 Nous commencerons à nous parler."

 

EVELYN UNDERHILL

 

Nous avons étudié brièvement les objectifs que nous avons en vue lorsque nous cherchons à réorienter l’intellect vers l’âme et que, par l’union ainsi effectuée, nous entrons en communication avec le monde supérieur. Nous cherchons à utiliser l’équipement dont une longue série d’expériences de la vie nous a pourvue et, soit que nous entreprenions le travail du point de vue du dévot mystique, ou du point de vue de l’aspirant intellectuel, certaines conditions fondamentales doivent être remplies, avant de procéder aux exercices. Les paroles du Révèrent R. J. Campbell résument notre histoire et définissent notre tâche. Il dit :

 Dans le dessein de réaliser la nature du Soi, nous avons dû sortir de la demeure éternelle de Dieu, afin de lutter et de souffrir dans l’illusion du temps et des sens. Nous avons à vaincre, avant de pénétrer dans l’éternelle vérité qui gît au-delà de toutes les apparences. Nous avons à maîtriser la chair et à magnifier l’esprit, à mépriser le monde pour le sauver et à perdre la vie pour la trouver.

 Maintenant, considérons la situation et la méthode à laquelle nous devons nous soumettre si nous voulons atteindre le but. Il suffit de mentionner les conditions préliminaires, car elles sont universellement reconnues et sont partiellement remplies par tout débutant, sinon il n’entrerait pas dans cette phase particulière de la séculaire poursuite de la vérité.

 Nous sommes conscients d’une dualité en nous et d’un état de guerre entre les deux aspects qui nous constituent. Nous sommes profondément mécontents de la vie physique dans son ensemble et de notre incapacité de saisir et de comprendre la divine Réalité qui existe, espérons-nous. Elle demeure pour nous un élément de foi et nous voulons la certitude. La vie des sens ne semble pas nous porter assez loin sur le chemin conduisant au but. Nous menons une existence mouvante, parfois portés par nos plus hauts désirs jusqu’à un sommet merveilleux où nous demeurons le temps d’une vision de beauté et puis, nous sommes précipités dans l’abîme de notre entourage quotidien, de notre nature animale et du monde chaotique dans lequel notre destinée nous a placés. Nous pressentons une certitude qui toujours nous échappe ; nous luttons pour un but qui semble hors de nous-mêmes et qui se dérobe à nos efforts les plus frénétiques ; nous combattons dans l’angoisse afin de parvenir à une réalisation que les Saints et les Connaisseurs de la race ont continuellement attestée. Si notre volonté est assez forte, notre détermination persévérante et indomptable, si les anciennes règles et les formules sont comprises, nous pouvons aborder notre problème sous un angle nouveau et utiliser notre acquis mental, au lieu de la demande émotionnelle et du désir fiévreux.

 Cependant, l’activité du cœur a sa place et Patanjali, dans ses Aphorismes, qui ont guidé par centaines les Connaisseurs, dit :

 Les pratiques qui suscitent l’union avec l’âme sont, premièrement, l’aspiration ardente, puis la lecture avec l’esprit et finalement la complète obéissance au Maître.

 1 Bailey Alice A., The Light of the Soul, II, 1, 2.

 Le mot "aspiration" vient du latin "ad" et "spirare" respirer, aspirer à, ainsi

que l’explique Webster, dans son dictionnaire. Le mot "esprit" vient de la même racine. L’aspiration doit précéder l’inspiration. Il doit y avoir une expiration de la part du soi inférieur avant qu’il puisse y avoir une aspiration de la part du principe supérieur. Du point de vue mystique oriental, l’aspiration implique l’idée de feu. Elle dénote un désir brûlant et une détermination ardente qui apporteront finalement trois choses à l’aspirant. Cela projettera une lumière

violente sur ses problèmes et constituera la fournaise purificatrice dans laquelle le soi inférieur doit descendre, afin que toutes les scories soient consumées et détruites ainsi que tous les obstacles qui pourraient le retenir. La même idée de feu se trouve dans tous les livres sur le mysticisme chrétien, et beaucoup de passages de la Bible, d’une nature similaire, nous viennent à l’esprit.

L’acceptation de "porter la croix", "d’entrer dans le feu", de "mourir chaque jour" (peu importe quel symbolisme est employé) constitue la caractéristique du véritable aspirant et, avant que nous puissions nous engager sur le chemin de la méditation, et, par-là, sur les traces des innombrables Fils de Dieu qui nous ont précédés, nous devons mesurer la profondeur et la hauteur de l’entreprise et rassembler nos forces pour l’ascension ardue.

 

Nous devons dire avec J. C. Earle :

 "Je passe le vallon. J’affronte la pente.

 Je porte la croix : la croix me porte.

 La lumière m’emmène à la lumière. Je pleure

 De joie à ce que j’espère voir

 Lorsque, enfin arpentée la hauteur escarpée,

 Pour chaque pas péniblement franchi,

 Je traverse des mondes et des mondes de lumière

 Et perce quelque profondeur plus profonde de Dieu."

 1 Earle, John Charles, Onward and Upward (Oxford Book of English Mystical

Verse), p. 508.

 

Nous partons avec une compréhension émotionnelle de notre but, et, de là, passant à travers le feu de la discipline, nous atteignons les hauteurs de la certitude intellectuelle. Ceci nous est magnifiquement décrit dans la Bible, dans l’histoire de Shadrach, Meshach et Abednego. Nous lisons qu’ils avaient été précipités dans une fournaise ardente et cependant le résultat de cette apparente tragédie est la libération, au milieu d’eux, de la forme d’une quatrième entité dont l’apparence était celle d’un Fils de Dieu. Ces trois amis sont les symboles de l’homme inférieur triple. Le nom "Meshach" signifie "agile", une faculté de l’intellect discriminateur, le corps mental. Shadrach, signifie "qui se réjouit dans la voie", et décrit la transmutation du corps émotionnel et la réorientation du désir vers le Sentier, Abednego signifie "un serviteur du Soleil" et ainsi ressort le fait que la seule fonction du corps physique est d’être le serviteur du Fils (le Soleil), de l’Ego ou âme. (Voyez Daniel, III, 23-24.)

 Il n’y a aucun moyen d’échapper à la fournaise, mais la récompense est proportionnée à l’épreuve.

 La signification de la seconde condition "lire avec l’esprit" doit être aussi comprise. Le mot "lire" est d’une origine très obscure et les philologues croient pouvoir l’attribuer à deux mots : l’un latin reri penser, l’autre sanscrit radh, réussir à. Peut-être les deux idées sont-elles permises car il est certainement vrai que l’homme qui pense avec le plus de succès et qui peut contrôler et utiliser son appareil de pensée est l’homme qui peut réussir le plus facilement à maîtriser la technique de la méditation.

 La prière est à la portée de tous. La méditation n’est possible que pour l’homme mentalement polarisé et ceci est un point sur lequel il convient d’insister car il rencontre fréquemment une vive opposition. Quiconque accepte de se soumettre à une discipline, et à transmuer ses émotions en dévotion spirituelle, peut devenir un saint et nombreux sont ceux qui s’y résolvent. Mais, tous les hommes ne peuvent encore être des connaisseurs, car cela implique, outre les accomplissements du saint, l’utilisation de l’intellect et le pouvoir d’atteindre par la pensée à la connaissance et à la compréhension. Celui-là réussit qui pense et peut utiliser le sixième sens, le mental, pour l’obtention de certains résultats spécifiques.

 En résumé, trois idées fondamentales ressortent : parvenir au succès au moyen de l’intellect, réaliser la perfection, prendre conseil et utiliser tous les moyens d’information afin d’acquérir la connaissance.

 Ceci est fondamentalement ce qu’entend Patanjali quand il emploie l’expression traduite par "lire avec l’esprit". En réalité cela signifie lire avec les yeux de l’âme, avec la vision intérieure, prompte à découvrir ce qui est cherché.

Il est entendu que toutes les formes sont les symboles d’une réalité intérieure ou spirituelle et que lire avec l’esprit suppose le développement de la faculté de "lire" ou voir l’aspect vie que voile et cache la forme extérieure. Ceci s’applique tant à la forme humaine qu’à toute autre forme dans la nature ; toutes les formes voilent une pensée, une idée divine, ou une vérité et sont la manifestation tangible d’un concept divin. Quand un homme sait cela, il commence à lire avec l’esprit, il voit au-delà de la surface et ainsi entre en contact avec l’idée qui a donné naissance à la forme. Comme il s’exerce à considérer les choses sous cet angle, il parvient graduellement à la connaissance de la vérité et n’est plus trompé par les aspects illusoires de la forme. Cela, dans son application la plus pratique, conduit l’homme à nier l’aspect forme qu’assume son frère et à se comporter envers lui sur la base de la divine réalité cachée. Ceci n’est point aisé, mais il est possible d’y parvenir, en s’entraînant à lire avec l’esprit.

 La troisième condition requise est l’obéissance au Maître. Ceci n’est pas une attention servile aux ordres de quelque Maître supposé, fonctionnant mystérieusement derrière la scène, comme tant d’écoles ésotériques le prétendent. C’est beaucoup plus simple. Le Maître réel réclamant notre attention et notre obéissance est le Maître dans le c.ur, l’âme, le Christ intérieur. Ce Maître fait d’abord sentir Sa présence par la "petite voix tranquille" de la conscience, nous incitant à une vie plus haute et moins égoïste, et nous avertissant aussitôt que nous nous écartons de la voie droite. Plus tard, cela est connu comme la "Voix du Silence", la parole venue du "Verbe

Incarné" qui est nous-mêmes. Chacun de nous est un Verbe fait chair. Nous appelons cela, plus tard encore, l’Intuition éveillée. Celui qui étudie la méditation apprend à discerner avec exactitude entre ces trois expressions du Maître. En conséquence, cela exige de la part de l’étudiant, et coûte que coûte  une obéissance implicite, immédiate aux impulsions les plus hautes qu’il puisse enregistrer en tout temps. Quand cette obéissance est effective, elle suscite de la part de l’âme un déversement de lumière et de connaissance. Le Christ y fait allusion dans ces paroles : "Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il saura..." (Jean, VII, 17.)

 

Ces trois facteurs, l’obéissance, la recherche de la vérité en toute forme et une aspiration ardente à la libération, sont les trois parties du stade de l’étudiant et doivent précéder la méditation. Elles peuvent n’être pas exprimées dans leur plénitude et leur perfection, mais elles doivent être incorporées à la vie en tant que règles de conduite efficaces. Elles mènent au détachement, une qualité sur laquelle l’Orient et l’Occident insistent. C’est la libération de l’âme, délivrée de l’esclavage de la vie, de la forme et la subordination de la personnalité aux impulsions supérieures. Le Père Maréchal exprime de la façon suivante, l’intention chrétienne à ce sujet :

 Que signifie ce détachement du soi ?

D’abord et clairement, c’est le détachement de l’Ego inférieur et sensible, c’est-à-dire la subordination habituelle du charnel au spirituel, la coordination de la multiplicité inférieure sous une unité supérieure. Et puis, c’est le détachement de "l’Ego vainement glorieux", l’Ego dispersé et capricieux, le jouet des circonstances extérieures, l’esclave de l’opinion fluctuante. La continuité de la vie intérieure ne pourrait s’accommoder d’une unité si fluctuante. Par-dessus tout, c’est le détachement de "l’Ego orgueilleux". Nous devons avoir une compréhension exacte de cela, car l’humilité est justement considérée comme l’une des notes caractéristiques de l’ascétisme et du mysticisme chrétien.

 1 Maréchal Joseph, Studies in the psychology of the Mystics, p. 166.

 Ici, on insiste sur la subordination de la vie physique, émotive et mentale, au divin projet de réaliser l’unité, car le caprice est la qualité de l’appareil sensoriel et l’orgueil, celle de l’intellect. Le processus de la méditation est divisé en cinq étapes, chacune conduisant successivement à la suivante. Nous les étudierons tour à tour, car leur maîtrise nous permettra de suivre l’homme spirituel et conscient, dans sa montée régulière, du domaine du sentiment à celui du savoir et de l’illumination intuitive. Ces cinq étapes pourraient être énumérées comme suit :

 1. La Concentration.

L’acte par lequel nous concentrons notre intellect et ainsi apprenons à en faire usage ;

2. La Méditation.

La concentration prolongée de l’attention, dans toute direction donnée ; la fixation persistante du mental sur une idée déterminée ;

 3. La Contemplation.

Une activité de l’âme, détachée du mental qui est maintenu à l’état quiescent ;

4. L'illumination.

 Le résultat des trois étapes précédentes, impliquant l’apport à la conscience cérébrale du savoir acquis ;

5. L'inspiration.

 Le résultat de l’illumination, tel qu’il se manifeste dans une vie de service.

 Ces cinq étapes conduisent à l’union et à la connaissance directe de la Divinité. Pour la majorité de ceux qui entreprennent l’étude de la méditation, l’étape à envisager pour une durée prolongée, et pratiquement à l’exclusion de toutes les autres, est celle de la concentration, de l’acquisition du contrôle des processus mentaux. Il est à présumer que, dans une certaine mesure, ils possèdent l’aspiration, sinon, ils ne désireraient pas méditer. Signalons, cependant, que l’aspiration n’est d’aucune utilité, si elle n’est soutenue par une volonté forte et accompagnée d’une endurance et d’une persévérance à toute épreuve.

I. L'Etape de la Concentration

 

Dans toutes les écoles d’occultisme avancé ou intellectuel, la première étape comporte nécessairement l’acquisition du contrôle de l’intellect. Au XIVème siècle, Meister Eckhart écrivait :

 Saint Paul nous rappelle qu’étant faits à l’image de Dieu nous pouvons parvenir à une vision plus haute et plus vraie.

Saint Dionysius dit que cela nécessite trois choses.

La première est la possession de son propre intellect. La seconde est un intellect libre. La troisième est un intellect qui peut voir. Comment peut-on acquérir cet intellect spéculatif ?

Par l’habitude de la concentration mentale.

 Pfeiffer Franz, Meister Eckhart, pp. 196-197.

 

Ceci est strictement conforme à la méthode orientale, laquelle vise d’abord à mettre l’homme en état de contrôler son appareil mental, de façon à ce qu’il soit celui qui en fait usage à volonté et ne soit pas son esclave, comme cela arrive fréquemment ; car il est ordinairement agité par des pensées et idées sur lesquelles il n’a aucun contrôle et qu’il ne peut chasser, même s’il en a le vif désir. Nous retrouvons ces mêmes idées dans l’écrit hindou, La Bhagavad-Gitâ :

 Sans doute, ô héros, l’esprit est mobile et difficile à saisir mais par l’exercice et par l’expulsion des passions, fils de Kunti, on le saisit.

 Pour celui qui ne s’est point dompté lui-même, l’union est difficile à atteindre, selon moi ; mais pour l’homme qui s’est maîtrisé, il est des moyens d’y parvenir.

 Quand ta raison aura franchi les régions obscures de l’erreur alors tu parviendras au dédain des controverses passées et futures.

 Quand, détourné de ces enseignements, ta raison demeurera inébranlable et ferme dans la contemplation, alors tu atteindras l’Union spirituelle.

 Bhagavad-Gitâ, VI, 34-35 et II, 52-53.

 

La première étape est donc le contrôle de l’intellect, cela signifie le pouvoir d’obtenir de l’intellect ce que vous voulez et qu’il pense comme vous l’entendez, formule des idées, les développe dans un ordre rigoureusement déterminé, dirigé. Dans la majorité des cas, la fonction de l’intellect est tout d’abord de recevoir des messages du monde extérieur, par l’intermédiaire des sens et transmis par le cerveau. Hume nous dit que l’intellect est une sorte de théâtre où plusieurs perceptions font successivement leur apparition. Il est le siège des fonctions intellectuelles, et un grand centre enregistreur d’impressions d’après lesquelles nous agissons ou que nous refusons si elles nous déplaisent.

L’intellect a une tendance à accepter ce qui lui est présenté. Les idées des psychologues et de la science concernant la nature de l’intellect sont trop nombreuses pour qu’il en soit parlé ici. Quelques-uns le regardent comme une entité séparée, d’autres comme un mécanisme dont le cerveau et le système nerveux sont des parties intégrantes. Une école le traite comme "une sorte de structure supérieure non physique (...) susceptible d’être étudiée scientifiquement et sujette à des désordres qui lui sont propres". Quelques-uns le considèrent comme une forme du soi, possédant une vie en propre ; comme un mécanisme de défense, construit au cours des âges ; comme un appareil perceptif par lequel nous entrons en contact avec certains aspects de l’Univers, intouchables autrement. Pour d’autres, l’intellect est simplement un terme vague, signifiant ce par quoi nous enregistrons la pensée et répondons aux vibrations telles que celles incorporées dans l’opinion publique et dans les livres écrits au cours des temps. Pour l’ésotériste, c’est simplement un mot représentant un aspect de l’homme, qui réagit en direction du monde extérieur (monde de la pensée et des affaires), mais qui pourrait également réagir en direction du monde des énergies subtiles et de l’être spirituel. C’est cette conception que nous avons dans l’esprit, lorsque nous étudions la méditation. Toutes les définitions sont incluses dans le résumé du Dr Lloyd Morgan :

 (...) le mot, "Intellect" peut être employé dans trois sens.

Premièrement, en tant qu’intelligence, Esprit, se référant à une activité, Dieu pour nous ;

Secondement, comme qualité faisant son apparition à un niveau élevé d’évolution ;

Troisièmement, comme un attribut psychique qui interpénètre tous les événements naturels en corrélation universelle.

 Morgan C. LLoyd, Emergent Evolution, p. 37

 

Ici, nous avons l’idée du but divin, du mental universel, de cette mentalité humaine qui distingue l’homme des animaux sur l’échelle de l’évolution ; de plus, il est fait mention de cette conscience psychique universelle qui pénètre ce qui est animé et ce qui, soit disant, ne l’est pas. C’est à l’intellect en tant que qualité, faisant son apparition à un niveau élevé d’évolution, que nous autres, humains, avons affaire. Il constitue pour nous un mode ou un moyen de contact nous permettant de recevoir des informations provenant de sources variées et transmises par différents moyens. Par l’intermédiaire des cinq sens, l’homme prend conscience du monde des phénomènes physiques et de la vie psychique dans laquelle il est immergé. L’intellect enregistre, en outre, des impressions émanant d’autres intellects, et les pensées des hommes (anciens ou modernes) lui sont transmises par la parole, l’écriture, par le drame, la peinture et la musique. Elles sont pour la plupart enregistrées puis mises en réserve pour s’exprimer plus tard, sous forme de mémoire et d’anticipation. Nos états d’esprit, nos réactions émotives, nos sentiments et nos désirs de tous grades, sont également enregistrés par l’intellect ; mais pour l’individu moyen, les choses en restent là ; il ne réfléchit guère après l’enregistrement de l’information et aucune pensée n’est clairement formulée. Vêtir des idées avec des mots qui les expriment clairement est une des fonctions de l’intellect, et, cependant, combien peu de gens ont des idées et génèrent des pensées vraiment intelligentes ! Leur intellect réagit à ce qui leur est communiqué du monde extérieur mais ne possède aucune activité inhérente, originale.

 Actuellement, dans le cas de l’individu moyen, le processus s’exerce de l’extérieur vers l’intérieur, au moyen des sens et du cerveau. Celui-ci télégraphie ses informations à l’intellect qui les enregistre à son tour.

D’ordinaire, ici s’arrête l’incident.

 Mais, pour l’homme réfléchi, il en va autrement. A l’enregistrement de l’information par l’intellect, succède une analyse de l’incident, de ses relations avec d’autres incidents et une étude de la cause et des effets. La "substancementale", comme l’appellent les Orientaux, est mise en activité, des formes-pensées sont créées et des images construites, se rapportant à l’idée présentée.

Alors, s’il le désire, la pensée claire de l’homme est imprimée sur son cerveau et une activité en retour est établie. Mais le mystique, ou l’homme qui commence à méditer, découvre quelque chose de plus. Il constate que l’intellect dûment gouverné et discipliné est capable de réactions plus vastes et plus profondes, qu’il peut prendre conscience d’idées et de concepts émanant de régions éminemment spirituelles et communiquées par l’âme. Au lieu des impressions venant du monde extérieur, enregistrées par la sensitivité du mental, elles peuvent donc aussi venir du domaine de l’âme elle-même, étant causée par sa propre activité ou par d’autres âmes avec lesquelles la sienne peut se trouver en contact.

 Car le mental entre dans une nouvelle phase d’activité où l’amplitude de ses contacts ne se limite plus au monde des hommes, mais inclut le monde des âmes. La fonction de l’intellect est de servir d’intermédiaire entre l’âme et le cerveau et de transmettre à celui-ci ce dont l’homme est conscient, en tant qu’âme. Ceci devient possible lorsque les anciennes activités mentales se trouvent remplacées par une activité plus élevée et que l’intellect est rendu insensible temporairement à toute sollicitation extérieure. Il ne s’agit pas, toutefois, de le rendre passif, réceptif ou négatif par contrainte ou par une méthode quelconque d’auto-hypnotisme. Ce nouvel état résulte de la force expulsive d’un nouvel et plus grand intérêt et de la concentration des facultés mentales sur un nouveau monde de phénomènes et de forces. Ce système est celui de la concentration, la première et la plus ardue des étapes conduisant à l’illumination de l’existence.

 Le mot "concentration" vient du latin con : ensemble, et centrare : centrer.

Il signifie rassembler, ou amener vers un centre commun ou point de concentration ; il implique le rassemblement de nos pensées errantes et de nos idées ; l’application ferme et soutenue de l’intellect à l’objet de notre attention immédiate, sans flottement ni distraction ; l’élimination de tout ce qui est étranger à l’objet de notre observation ; Patanjali en donne la définition suivante :

 L’enchaînement de la conscience à une certaine région constitue l’attention ou la concentration.

 Bailey Alice A., The Light of the Soul, III, 1.

 

Ceci implique nécessairement une distinction entre le Penseur, l’appareil de la pensée et ce que le Penseur considère ; entre nous-mêmes, celui qui pense et ce dont nous nous servons pour penser : l’intellect. Alors intervient un troisième facteur, ce qui est pensé. L’élève fera bien, dès le début de sa pratique de la méditation, de se familiariser avec ces distinctions et de prendre l’habitude de les établir en lui-même, chaque jour. Il doit séparer :

 1.Le Penseur, le Soi réel ou l’Ame ;

2.Le mental, ou l’appareil que le Penseur cherche à utiliser ;

3.Le processus de la pensée, ou le travail du Penseur imprégnant l’intellect de ce qu’il pense, lorsque l’intellect est équilibré ;

4.Le cerveau imprégné à son tour par l’intellect, agissant comme l’agent du Penseur, dans le dessein de transmettre renseignements et impressions. 

 La concentration est donc la faculté de fixer la conscience sur un sujet donné et de l’y maintenir à volonté ; c’est la méthode de la perception adéquate, la faculté de se représenter correctement les images, la qualité permettant au Penseur de percevoir et de connaître le champ de la perception. Un synonyme de "concentration" c’est le mot "attention", au sens d’attention maintenue dans une seule direction. Il est intéressant de noter ce que le Père Maréchal dit à ce propos. Il signale que "l’attention est un chemin direct, menant à la perception totale, à l’hallucination, ou plus généralement à la croyance... Cela amène une unification au moins momentanée de l’intellect, par la prédominance d’un groupe mental... Mais cette unité mentale, réalisée à un degré quelconque, dans le phénomène de l’attention, est aussi la seule condition subjective qui, nous l’avons vu, accompagne toujours la perception véritable ou fausse de la vérité".

 Maréchal Joseph, Studies in the Psychology of the Mystics, p. 90.

 

Quel est le moyen le plus facile d’apprendre à se concentrer ? Un proverbe français répond : "Le meilleur moyen de déplacer est de remplacer" et le moyen à employer est d’utiliser ce que l’on appelle "la force expulsive d’une nouvelle affection". L’intérêt profond pour un sujet nouveau, dynamique, tendra automatiquement à fixer l’intellect sur un seul point.

 Un autre moyen peut être donné : soyez attentifs à tout ce que vous faites, tout le jour et tous les jours. Si nous cultivons l’exactitude dans les affaires de la vie courante nous développerons rapidement la concentration. L’exactitude dans les propos nous forcera d’être attentifs à ce qui a été dit, lu, entendu. Cela implique nécessairement la concentration et la développera. La vraie méditation est, après tout, une attitude mentale et résultera d’une attitude concentrée. Le but de nos efforts est donc d’entraîner notre intellect pour en faire notre serviteur et non pas notre maître et de cultiver notre faculté de concentration préalablement à la pratique de la méditation.

 L’élève sérieux se montrera, par conséquent, attentif dans la vie journalière et, ainsi, apprendra à réglementer son intellect, appareil de la pensée.

 Que l’on me permette d’insister ici sur la nécessité de cette attitude dans l’existence. Le secret du succès réside en deux mots : faire attention. Dans la conversation, quand vous lisez ou écrivez, concentrez-vous sur ce que vous faites et vous développerez graduellement cette faculté essentielle.

 Cette attitude doit être complétée par des exercices de concentration appropriés, faits chaque jour avec persévérance. Cela suppose la fixation de l’intellect sur un objet déterminé, ou bien sur un sujet de pensée précis. Vient ensuite la question d’apprendre à soustraire la conscience au monde extérieur et aux conditions exotériques, pour la reporter à volonté sur n’importe quel thème.

 La pratique quotidienne de la concentration nous permet de vaincre graduellement la difficulté du contrôle et aboutit à certains résultats que l’on peut énumérer comme suit :

 1. La réorganisation de l’intellect ;

2. La polarisation de l’homme, dans son véhicule mental et non plus dans son véhicule émotionnel ;

3. Le retrait de l’attention des perceptions sensorielles et l’apprentissage de la concentration dans le cerveau. La plupart des gens utilisent, comme les animaux, leur plexus solaire ;

4. Le développement d’une faculté de concentration instantanée, préalablement à la méditation ;

5. La capacité de concentrer fermement l’attention sur n’importe quelle pensée-semence.

II. L'Etape de la Méditation

 

Patanjali définit la concentration comme le maintien de la conscience perceptive dans une certaine région et la méditation comme le maintien prolongé de cette même conscience, dans une certaine région. Ceci implique seulement une différence dans le facteur temps et semble faire des deux étapes une question de contrôle. Par la pratique de la concentration, l’élève doit acquérir un contrôle suffisant pour n’avoir plus à rassembler continuellement ses pensées. Par conséquent, une concentration prolongée fournit à l’intellect l’occasion de s’exercer sur tout objet inclus dans les limites de la région choisie.

Le choix d’un mot, d’une phrase comme sujet de méditation, établit cette limite et, si la méditation est bien conduite, l’intellect ne cesse jamais de considérer l’objet ainsi choisi. Il demeure concentré et continuellement attentif pendant toute la durée de la méditation. De plus, il ne lui est pas permis de faire ce qu’il lui plaît de l’objet ou de la pensée-semence. Dans la concentration, celui qui médite doit avoir tout le temps conscience d’utiliser son intellect.

Dans la méditation, cette conscience de l’intellect, étant employée, se perd, mais il ne peut y avoir ni rêverie, ni poursuite d’idées quelconques, en rapport avec l’objet de la pensée. La pensée-semence a été choisie à dessein, soit en raison de son effet sur celui qui médite, soit au point de vue service, quant à une autre personne, à une œuvre spirituelle ou bien à une phase de la recherche de la sagesse. En cas de succès, celui qui médite ne réagit que peu ou point, tant au point de vue satisfaction qu’absence de satisfaction. Les réactions émotives sont dépassées ; en conséquence, l’intellect est laissé libre de se comporter selon son droit. Il en résulte une clarté de pensée inconnue jusqu’alors, l’intellect étant d’ordinaire continuellement affecté par un désir d’une sorte ou d’une autre. Dans cet état de conscience, le désir est surpassé comme le sera plus tard la pensée au stade de la contemplation. Quand l’intellect est frappé d’inaction par inhibition ou par répétitions persistantes, il ne peut être ni dépassé dans la contemplation ni utilisé dans la méditation.

Faire le vide dans l’intellect est un sot et dangereux exercice. Dans les Yogas Sutras, de Patanjali, nous trouvons ces mots :

 La conquête graduelle de la tendance qu’a l’intellect à voltiger d’un objet à un autre et le pouvoir de le fixer sur un seul point constitue le développement de la contemplation.

 La méditation est le résultat de l’expérience. Elle est l’obtention instantanée d’une tournure d’esprit, conséquence d’une longue pratique. Nous voyons, dans la Bhagavad-Gitâ, qu’en toute action se retrouvent les cinq facteurs suivants :

 1. L’instrument matériel Le cerveau

2. L’acteur Le Soi

3. L’organe Le mental

4. L’impulsion L’énergie

5. La destinée Le karma.

 Bhagavad-Gitâ, XIII, 13-14.

 

La méditation est une activité d’un genre très intense et l’on verra qu’elle comporte, elle aussi, ces cinq facteurs. L’instrument matériel que nous devons employer en méditation, c’est le cerveau physique. Beaucoup de personnes pensent qu’elles doivent dépasser celui-ci, atteindre quelque altitude extraordinaire et s’établir sur quelque pinacle de pensée, jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose de transcendant leur permettant de dire qu’elles connaissent Dieu. Ce qui importe en réalité, c’est de contrôler notre activité cérébrale et mentale de telle sorte que le cerveau devienne le réceptacle des pensées et des désirs de l’Ame ou Soi Supérieur, qui les lui transmet par l’entremise de l’intellect.

 Le mental est considéré comme un sixième sens et le cerveau comme une plaque sensible. Nous utilisons déjà les cinq sens comme moyens de perception et ils télégraphient constamment leurs renseignements au cerveau, concernant cinq vastes champs de connaissance, cinq sortes de vibrations différentes. Le mental est appelé à jouer un rôle similaire. Meister Eckhart a résumé tout cela dans le passage suivant qui définit la position de tous les mystiques, orientaux et occidentaux.

 D’abord, veille à ce que tes sens extérieurs soient dûment contrôlés... Maintenant, tourne-toi vers les sens intérieurs, les nobles facultés de l’âme, inférieures et supérieures. Prends d’abord les facultés inférieures, elles sont intermédiaires entre les facultés supérieures et les sens extérieurs. Elles sont excitées par les sens extérieurs ; ce que les yeux voient, ce que les oreilles entendent, elles le présentent au désir qui, d’ordinaire, le présente à son tour à la seconde faculté appelée jugement, qui le considère et, une fois encore, le passe à la troisième faculté, la raison...

 De plus, un homme doit avoir son intellect à l’aise (...) le corps doit se reposer de tout labeur corporel, non seulement des mains, mais encore de la langue comme des cinq sens.

C’est dans le repos que l’âme est le mieux libre ; mais, dans un corps las, souvent l’inertie la vaine. Alors, concentrant nos efforts, nous travaillons dans l’amour divin à la vision intellectuelle, jusqu’à ce que, traçant le chemin à travers les sens rassemblés, nous nous élevions au-delà de notre intellect, jusqu’à la prodigieuse sagesse de Dieu... L’homme s’élevant jusqu’au sommet de son intellect est Dieu exalté.

 Pfeiffer Franz, Meister Eckhart, pp. 279, 47.

 

Au moyen du mental, en tant qu’instrument dirigé, l’âme peut manier les impulsions et les courants de pensée. Ces forces se déversent dans le champ d’expérience du Penseur et il doit apprendre à les diriger consciemment, à travailler avec elles afin d’obtenir le résultat désiré.

 Le cinquième facteur nous rappelle qu’il faut atteindre un certain stade de développement évolutif, avant que la pratique de la méditation soit possible : l’homme doit avoir accompli un certain travail et perfectionné son instrument pour s’y adonner sans danger. Tous les individus ne sont pas équipés pour méditer avec l’espoir d’un plein succès. Ceci ne doit aucunement décourager l’élève. On peut toujours commencer et poser de solides fondations. Le contrôle du processus mental peut être entrepris et poussé très loin, de manière à fournir à l’âme un appareil de pensée prêt à lui servir. En réagissant aux trois parties de la méditation, mais réagissant d’une manière unifiante, la nature physique, ou nature de la forme, a été étudiée ; la qualité qui l’anime et le motif ou cause de la manifestation de la forme ont été considérés. En même temps, la concentration est devenue plus profonde et la méditation plus intense.

L’attention s’est tournée de plus en plus vers l’intérieur, et les choses extérieures ont été patiemment rejetées ; ceci ne s’est pas accompli grâce à une attitude passive, mais par un intérêt des plus vifs et des plus vitaux. La méthode de la méditation a été positive et n’a pas abouti à un état négatif ou de transe.

L’intellect a été actif tout le temps et actif dans une seule direction. Finalement vient le stade appelé béatitude ou identification. La conscience n’est plus concentrée dans l’intellect mais est identifiée avec l’objet de la méditation.

Nous considérerons ceci plus tard.

 Nous avons donc quatre stades se résumant comme suit, et constituant ce que l’on appelle "la méditation avec semence".

 1.Méditation sur la nature d’une forme particulière ;

2.Méditation sur la qualité d’une forme particulière ;

3.Méditation sur le but d’une forme particulière ;

4.Méditation sur la vie animant une forme particulière.

 Toutes les formes sont les symboles d’une vie qu’elles incorporent, et c’est par la méditation "avec semence" que nous parvenons à l’aspect vie.

 Dans Un traité sur le Feu cosmique, nous trouvons les paroles suivantes :

 L’élève avisé considère toutes les formes comme étant de nature symbolique. Un symbole a trois interprétations : il est lui-même l’expression d’une idée, et cette idée à son tour a derrière elle un but ou une impulsion inconcevable quant à présent. Les trois interprétations d’un symbole peuvent être traitées de la manière suivante :

 1.L’interprétation exotérique d’un symbole est basée largement sur son utilité objective et sur la nature de la forme. Ce qui est exotérique et substantiel sert à deux fins :

a.A donner de vagues idées concernant une idée et un concept.

Ceci relie le symbole (...) au plan mental, mais ne le libère pas des trois mondes de l’appréciation humaine.

 b.A limiter, confiner, emprisonner l’idée et à l’adapter de la sorte au degré d’évolution de l’homme. La vraie nature de l’idée latente est toujours plus puissante et plus complète que la forme ou le symbole à travers lequel elle essaie de s’exprimer. La matière est le symbole d’une énergie centrale.

Les formes de toutes les espèces, dans tous les règnes de la nature et les enveloppes manifestées sont, dans leur plus large implication et dans leur totalité, simplement des symboles de la vie. Mais, ce qu’est cette vie demeure encore un mystère.

2.L’interprétation subjective, ou signification, est celle qui révèle l’idée cachée derrière la manifestation objective. Cette idée, incorporelle en soi, devient une concrétion sur le plan de l’objectivité... Ces idées deviennent apparentes à l’élève, après qu’il est entré en méditation, de même que la forme exotérique du symbole est tout ce que voit l’homme à ses débuts. Dès que l’homme commence à se servir sciemment de son appareil mental et a pris contact, même superficiellement, avec son âme, trois choses se produisent :

a.Il va au-delà de la forme et cherche à se rendre compte ;

b.Avec le temps, il parvient à l’âme que la forme voile, cela par la compréhension de sa propre âme ;

c.Il commence alors à formuler des idées, à créer et à manifester cette énergie –de - l’âme ou substance qu’il s’est découvert le pouvoir de manipuler.

Exercer les gens à travailler dans la substance mentale, c’est les dresser à créer ; leur apprendre à connaître la nature de l’âme, c’est les mettre en contact conscient avec le côté subjectif de la manifestation et leur donner la capacité de travailler avec l’énergie – de - l’âme ; les rendre susceptibles de développer les pouvoirs de l’âme, c’est les mettre en rapport avec les forces et les énergies cachées dans tous les règnes de la nature.

Quand le contact avec l’âme est établi et que les perceptions subjectives sont fortifiées et développées, alors, un homme peut devenir un créateur conscient, coopérant à l’évolution, aux plans de Dieu. Tandis qu’il passe de stade en stade, sa capacité de travailler, d’atteindre la pensée au-delà du symbole, augmente. Il n’est plus trompé par l’apparence, mais sait qu’elle est la forme illusoire qui voile, emprisonne une pensée quelconque.

 3.La signification spirituelle est ce qui existe derrière le sens subjectif et qui est voilé par l’idée ou pensée, de même que l’idée est voilée par la forme qu’elle assume pendant la manifestation exotérique. Cette signification spirituelle peut être considérée comme l’intention qui suggère l’idée et la conduit à sa manifestation dans le monde de la forme. C’est l’énergie dynamique centrale, responsable de l’activité subjective.

 Bailey Alice A., Treatise on Cosmic Fire, pp. 1233 et suiv.

  

Le procédé selon lequel on parvient à la réalité derrière toute chose est le résultat de la "méditation avec semence". Il implique la compréhension des trois aspects de la vie Divine. C’est pourquoi il est conseillé aux élèves de prendre pour sujet de méditation certains mots spécifiques, ou bien un vers tiré d’un livre sacré, afin de développer leur faculté de pénétrer derrière la forme des mots et d’atteindre ainsi à leur véritable signification.

 Nous avons pénétré dans le monde des causes ; nous devons chercher à appréhender le Plan tel qu’il existe dans l’intellect de Dieu et tel qu’il s’exprime par l’amour émanant du cœur de Dieu. Est-il possible aux intellects humains d’aller plus loin que l’amour et la volonté de Dieu ? A ce point, exactement, s’établit le contact avec la Divinité. L’intellect cesse de fonctionner et le véritable élève passe à un état conscient d’identification avec la réalité spirituelle que nous appelons le Christ Intérieur, l’Ame divine.

 L’homme, à ce point, entre en Dieu.

CHAPITRE VI

LES ÉTAPES DE LA MÉDITATION (suite)

 

 Le déroulement de la perception consciente.

 La perception passive et la perception active.

 Les deux activités de l’intellect. Les sens et la réalité.

 "Milarepa s’étant finalement débarrassé de la Double-Ombre s’éleva dans l’Espace Spirituel jusqu’à ce qu’il eut atteint le But en qui toutes les doctrines s’unifient... Toutes ses idées, tous ses concepts s’étant perdus dans la Cause Première, il avait éliminé l’illusion de la Dualité".

 RECHUNG (du Tibétain).

 

Nous avons poursuivi notre pratique de la méditation selon ce que l’on pourrait appeler des lignes séculaires, car l’emploi du mental a été impliqué et, quoique le sujet de la méditation ait été présumé religieux, les mêmes résultats peuvent être obtenus avec un thème profane comme l’objet ou la pensée-semence.

 Le but a été d’apprendre à l’intellect à demeurer fixé sur une idée choisie.

Par conséquent, nous nous sommes occupés de ce que l’on pourrait légitimement appeler une partie du processus éducatif. C’est à ce point que paraît la divergence entre les méthodes orientale et occidentale. Dans une école, avant toute chose, on apprend aux élèves à contrôler l’instrument de la pensée, à découvrir, au début, l’existence de cet instrument par la faillite dans ce contrôle, puis, grâce à la pratique de la concentration et de la méditation, à acquérir la facilité d’obliger le mental à demeurer centré vers une seule et unique direction.

 L’autre école pose en principe la possession d’une faculté appelée intellect et se met en devoir de le combler d’informations ; elle développe l’aspect mémoire en sorte que les faits retenus soient aisément accessibles à l’élève. Peu nombreux sont ceux qui, parvenus à ce stade, fassent un usage réel de leur intellect, l’appliquant à des fins scientifiques ou matérielles. La majorité des gens n’atteint jamais au contrôle de l’intellect. Les méthodes éducatives, telles que nous les avons aujourd’hui, n’enseignent pas aux élèves cette technique préliminaire, d’où la confusion profonde en ce qui concerne la nature de l’intellect et la distinction entre l’intellect et le cerveau.

 Si le cerveau et les cellules cérébrales sont tout ce qu’il y a, alors, la position du penseur matérialiste, considérant la pensée comme entièrement dépendante de la qualité des cellules, est logique et correcte. Ludwig Fischer, dans son livre La Structure de la Pensée, nous montre la part que le cerveau joue dans ce processus.

 "La perfection des processus d’appréhension dépend principalement de la structure et du fonctionnement de certains organes, qui reçoivent et relient les différentes impressions des sens et qui, de plus, retiennent partiellement les traces d’impressions antérieures et leur permettent indirectement d’entrer en action. Cet organe est le cerveau avec ses ramifications et ses organes subsidiaires. La perfection de la structure et du fonctionnement de cet organe détermine la perfection avec laquelle nous pouvons réussir à produire, dans un effort délibéré, une représentation du complexe du Tout, usant des formes spécifiques de la perception sensorielle qui sont à nos ordres...

 Le cerveau nous permet d’avoir une intuition et une appréhension intellectuelle du monde dans sa complexité. La manière dont ceci est produit dépend de la structure interne extrêmement compliquée de cet organe et de ses relations réciproques avec les autres parties du Tout, relation qui a de nombreux degrés".

 Fischer Ludwig, The Structure of Thought, p. 135.

 

 Si la perception et l’appréhension sensorielles, avec leurs conséquentes réalisations et l’institution d’un processus mental subséquent, ont leur source dans le cerveau, le Dr Sellars a raison, lorsqu’il écrit dans Evolutionary Naturalism, que l’intellect doit être regardé comme une "catégorie physique" et que "par-là, il faut entendre les processus nerveux qui trouvent leur expression dans une conduite intelligente".

 Sellars, Dr Roy Wood, Evolutionary Naturalism, p. 300.

 

Mais cette idée ne satisfait pas la majorité des penseurs et la plupart, appartenant à des écoles autres que l’école purement matérialiste, conçoivent quelque chose de plus que la matière et considèrent l’intellect comme distinct du cerveau. Ils soutiennent l’hypothèse que l’intellect est une réalité subjective substantielle, qui peut se servir du cerveau comme de son expression terminale et qui peut l’impressionner afin d’exprimer ces concepts et ces intuitions que l’homme est susceptible d’utiliser consciemment.

 Ce que nous considérons n’est aucunement une faculté supernormale ou la possession d’un instrument spécialisé dont une élite serait douée, l’intellect devrait être employé par tous les gens éduqués, et, à la fin de l’éducation (poursuivie pendant les années de formation) un homme devrait être en possession d’une faculté qu’il comprenne et emploie à volonté.

 Le Dr Mac Dougall fait remarquer, dans Psychology, the Science of Behaviour, que l’activité mentale (qui est généralement inconsciente) peut être subnormale, normale ou supernormale (Mc Dougall William, Psychology, the Science of Behaviour.). Dans le premier cas, vous aurez l’idiot ou faible d’esprit ; dans le second, le citoyen moyen, intelligent, dont l’intellect est un théâtre ou plutôt un cinéma, enregistrant tout ce qui arrive ; et, finalement, nous découvrirons ces rares âmes dont la conscience est illuminée et dont l’intellect retient ce qui est caché à la majorité. Nous n’avons point affaire encore à cette dernière classe ; ces êtres sont le produit des étapes finales de la méditation : la contemplation et l’illumination. La concentration et la méditation concernent le plus grand nombre et les gens normaux.

 En Orient, et par beaucoup de personnes en Occident, l’intellect est considéré comme séparé et distinct du cerveau. Le Dr C. Lloyd Morgan, dans Emergent Evolution, cite Descartes : "Il y a en vérité : 1° la substance corporelle (res extensa) et 2° la substance mentale ou pensante (res cogitans), mais leur existence nécessite le concours de Dieu... A l’exception de cette commune dépendance de Dieu, elles sont indépendantes l’une de l’autre (Morgan C. Lloyd, Emergent Evolution, p. 291.). Lloyd Morgan résume son propre point de vue dans un autre livre : Life, Mind an Spirit. Il dit :

 L’Esprit n’est aucunement séparable de la Vie et de l’Intellect et inversement. Ce qui est offert à la contemplation réflective, c’est un plan-universel d’événements naturels. J’affirme que ce plan-universel est une manifestation des intentions Divines... Nous aussi sommes des manifestations de l’Esprit qui est "révélé" en nous. Chacun de nous est une vie, un intellect et un Esprit, un exemple de vie en une expression du Plan-Universel, d’intellect, en une expression différente du Plan-Universel, d’Esprit, dans la mesure où la Substance de ce Plan-Universel est révélée en nous... Cette révélation est seulement partielle, chacun de nous étant seulement un exemple individuel de ce qui, dans la manifestation totale est universel (Morgan C. Lloyd, Life, Mind and Spirit, p. 32.).

 Dieu révèle son dessein à travers l’activité de la forme. Il fait de même à travers l’activité du mental qui agit à son tour sur le cerveau à l’état réceptif.

Plus tard, l’intellect devient capable de réagir à une illumination émanant de l’aspect Esprit et c’est ce que nous allons examiner brièvement. Ceci est très proche de la position orientale qui suppose "une substance mentale", mise en activité de l’extérieur (monde des affaires humaines) par l’agent des sens, par les émotions et par d’autres intellects. Cette intense activité de la substance mentale doit être catégoriquement éloignée par la concentration et par la méditation, si l’on veut que l’intellect soit dans les conditions permettant de le re-centrer, de le réorienter vers un autre champ de perceptions, un autre ordre d’idées. Pour l’ésotériste, l’objectif de la méditation (poussé jusqu’à ses dernières étapes) est donc de faire cesser toute forme d’activité à l’intellect, si haute soit-elle, et commencer à enregistrer les impressions venant de ce facteur en constante manifestation, que nous appelons, faute d’un meilleur terme, l’Intelligence de Dieu, le Mental Universel.

 Ce mental se distingue par un sens de Plénitude et de synthèse.

 L’histoire entière de l’humanité poursuivant son évolution peut être considérée sous l’angle de ce Plan, tout l’intérêt concentré sur le fait que, dans l’homme, croît la conscience d’un Univers qui est la révélation d’une Vie et d’une Déité et dans lequel l’humanité joue sa partie dans le plus grand Tout.

 Ludwig Fischer attire notre attention sur le fait que toutes nos facultés "sont fondées sur ce mystérieux et inconscient quelque chose qui domine notre vie intellectuelle" et signale la nécessité de ce qu’il appelle l’élément non rationnel, dans les réponses que nous donnons aux questions complexes de chaque jour. Ses conclusions, quant à la situation fondamentale que l’homme doit affronter par rapport à la pensée et à nos progrès dans les régions supérieures et non rationnelles, sont vraies et puissantes. Il dit :

 Il n’est qu’un seul chemin possible, pour avancer. Ce chemin est suivi par l’intuition des intellects plus instinctivement sensitifs qu’à l’ordinaire, la raison analytique suit, consolidant la position et rendant la route praticable au reste de l’humanité. L’avance dans l’inconnu commence par une hypothèse, et une hypothèse n’est rien de plus qu’une structure plus ou moins irrationnelle, obtenue intuitivement.

Une fois établie, elle est comparée dans tout ce qu’elle implique avec l’expérience et, si possible, mise à l’épreuve et rationalisée.

 Fischer Ludwig, The Structure of Thought, p. 361.

 

Nous sommes arrivés, dans notre étude du contrôle de l’intellect, au point où nous devons procéder par hypothèse. Cependant, ce ne sera une hypothèse que pour le matérialiste, car les conclusions auxquelles on est parvenu, le royaume de connaissance dans lequel on a pénétré, sont enregistrés comme vérité et faits prouvés, par des milliers d’êtres, à travers les âges.

 Nous avons donné un aperçu d’une méthode ancienne, expérimentée, par laquelle on prétend que l’intellect peut être saisi, employé à volonté, et nous avons signalé un moyen grâce auquel les facteurs ayant retenu notre attention jusqu’à maintenant peuvent être annulés et un nouveau champ de perceptions devenir possible. Avant de poursuivre ces instructions, il est peut-être utile de définir l’hypothèse sur laquelle nous allons nous appuyer.

 Il y a un royaume de l’âme appelé le royaume de Dieu. Il est en réalité un autre règne de la nature, le cinquième. L’entrée dans ce règne est un procédé aussi naturel que l’a été le passage de la vie montant d’un règne de la nature à un autre, au cours de l’évolution. Quand les sens et tout ce qu’ils transmettent est concentré dans le "sens-commun" (nom donné à l’intellect par les mystiques tels que Meister Eckhart), ils enrichissent l’intellect, le rendent susceptible de nombreux états de conscience. Quand ces activités peuvent être annulées et quand l’intellect enrichi peut, à son tour, être re-centré, il devient un appareil sensitif (un sixième sens, si vous voulez) qui enregistre "les choses du Royaume de Dieu" et procure à l’homme en profonde méditation des états de conscience et des degrés de connaissance qui, jusque-là, lui avaient été scellés, mais qui sont une partie du Tout et du contenu de l’Univers, autant que tout autre champ d’investigation. C’est là notre hypothèse et c’est d’elle que nous partons.

 La perception instinctive a fait place chez l’homme au savoir intellectuel.

 Est-il possible que cette perception intellectuelle soit à son tour dépassée et remplacée par une connaissance intuitive ?

 A ce point de notre argumentation, certaines déclarations semblent nécessaires ; elles aideront à élucider le thème de ce livre. Elles sont au nombre de trois :

 I.

Au cours du long processus évolutif qui a conduit l’homme du stade animal à celui d’être humain, nous constatons que nous sommes arrivés maintenant à la phase dans laquelle il est soi-conscient et s’en réfère à lui-même. Il se tient au centre de son propre monde et l’univers tourne autour de lui. Tout ce qui advient se rapporte à lui, à ses affaires, et le facteur important est l’effet que la vie et les circonstances produisent sur lui.

 II.

A mesure que l’homme croît en savoir et en perception intellectuelle, le cerveau et l’intellect se coordonnent. Le cerveau devient l’outil ou l’instrument des instincts disciplinés et de l’intellect contrôlé.

Celui-ci tire du "contenu du subconscient", de la mémoire active et de l’entourage, ce qui est nécessaire au progrès de la vie, dans un monde exigeant. L’homme devient un être capable, utile et prend sa place comme cellule consciente dans le corps de l’humanité. Il commence à comprendre quelque peu ses relations avec le groupe. Mais il y a davantage.

 III.

Depuis le stade primitif de l’existence humaine, jusqu’au grade élevé de l’homme coordonné, il y a toujours eu présente la conscience de quelque chose d’autre, d’un facteur sis au-delà de l’expérience humaine connue, d’un but, d’une Déité. Cette perception subtile et indéfinissable émerge inévitablement et maintient l’homme en quête de ce que ni son intellect (tel qu’il le connaît) ni les circonstances, ni son entourage ne semblent capables de lui donner.

Ceci peut être appelé la recherche de la certitude, l’entreprise de l’expérience mystique, ou l’impulsion religieuse, mais, quelque nom que nous lui donnions, cela est infailliblement présent.

Ces trois propositions traduisent grossièrement le chemin que l’homme a parcouru dans sa conscience. Elles dépeignent la condition dans laquelle, en ce temps, nous trouvons un grand nombre d’êtres humains, intellectuels, bien informés, responsables mais qui, en même temps, ne sont pas satisfaits. Ils interrogent l’avenir, confrontent la mort inéluctable ; ils souhaitent parvenir à une conscience plus vaste, une certitude quant aux choses spirituelles et à l’ultime Réalité. Cette poussée vers une compréhension et un savoir plus grands se révèle sur une large échelle, à cette époque, et la continuation de la croissance évolutive déjà établie persiste apparemment et doit se poursuivre, si un nouveau règne ou état de conscience doit être ajouté à ceux déjà atteints.

C’est à ce point que toutes les grandes religions du monde offrent à l’homme un mode de connaissance et un procédé de développement qui peut hâter la croissance spirituelle et y réussit, en effet.

 Le Dr Otto, dans The Idea of the Holy, dit que l’homme "doit être conduit et mené par la considération et la discussion de cette matière, selon les voies de son propre intellect, jusqu’à ce qu’il atteigne le point où le "numinous" en lui s’éveille de force, prenne vie et conscience".

 Otto Rudolf, The Idea of the Holy, p. 7.

 

On nous dit que le mot "numinous" vient du latin "numen" qui signifie pouvoir divin surnaturel. Il représente "l’appréhension religieuse spécifique, non-rationnelle et son objet, à tous les niveaux, depuis les premières vagues impulsions où l’on peut à peine dire que la religion existe, jusqu’aux formes les plus exaltées de l’expérience spirituelle".

 Ibid., p. 17 de la préface du traducteur.

 

Son traducteur, le Dr Harvey, professeur de philosophie au collège Armstrong, ajoute qu’il se développe dans l’homme une connaissance croissante d’un objet, déité (...) une réponse, pour ainsi dire, au choc suscité dans l’intellect humain quand le "Divin" se révèle soit obscurément, soit avec clarté. Le fait principal est la confrontation de l’intellect humain avec un Quelque chose dont le caractère est graduellement découvert mais qui, dès le début, est senti comme une présence transcendante, l’ "au-delà", même quand cela est aussi perçu comme l’ "au-dedans" de l’homme.

 3 Ibid., p. 15 de la préface du traducteur.

 

Par l’attention apportée au but de la vie, par la concentration dans le travail quotidien, par l’intérêt intense dans les sciences qui captivent nos plus grandes intelligences et par la méditation, telle qu’elle est pratiquée par certains, ans le domaine religieux, beaucoup d’individus sont parvenus au point où deux choses se produisent : l’idée de sainteté, de l’Etre et de la relation avec cet Etre entre dans la vie comme facteur dominant. Secondement, l’intellect commence à manifester une nouvelle activité. Au lieu d’enregistrer et d’emmagasiner dans la mémoire les contacts que les sens lui ont communiqués et d’absorber les informations fournies par les livres et la parole, il se réoriente vers un nouveau savoir et commence à puiser à d’autres sources d’information.

L’instinct et l’intellect ont fait leur travail ; maintenant, l’intuition commence à jouer son rôle. C’est à ce point que nous a conduits la pratique de la méditation que nous avons étudiée après que l’éducation de la mémoire et la classification du savoir humain nous y eurent préparés. Celles-ci ont eu leur temps. Pour des milliers d’individus, un nouvel effort est donc dans l’ordre. Se peut-il qu’à ces âmes nées aujourd’hui à l’expérience du monde, la vieille éducation avec son développement de la mémoire, ses livres, ses conférences et ses appropriations de pseudo-faits, soit devenue insuffisante ? Pour elles, nous devons soit formuler une nouvelle méthode, soit modifier la technique présente, afin de trouver du temps pour la réorientation de l’intellect, réorientation qui permettra à l’homme d’étendre ses contacts à d’autres champs de connaissance. Ainsi, nous démontrerons la vérité des paroles de Mr Chaplin, dans son précieux petit livre The Soul. Il dit que... "c’est par l’âme que les processus corporels prennent leur signification".

 1 Chaplin F. K., The Soul, p. 63.

 

La conquête du royaume de l’âme s’offre vaguement à l’homme.

 Le jour est proche où le mot Psychologie reprendra sa signification originelle. L’éducation aura dès lors deux fonctions : Elle rendra l’homme capable de mener à bien les affaires de ce monde et d’employer intelligemment cet appareil que les "Behaviouristes (Partisans de la psychologie des réactions organiques.)" ont tenté d’expliquer ; elle l’initiera aussi au royaume dont les mystiques se sont toujours portés garants et dont l’intellect, correctement employé, détient la clé.

 Dans le chapitre précédent, il a été traité de la méthode par laquelle un homme peut commencer à maîtriser son instrument, l’intellect, et apprendre à concentrer sa pensée sur un thème choisi ou une idée, en sorte qu’il soit fermé à tout concept extérieur et que la porte sur le monde phénoménal soit complètement close. Nous allons considérer la manière dont il pourrait monter de plus en plus haut sa pensée (pour parler le langage des mystiques) jusqu’à ce que l’intellect faillisse et que lui-même se trouve sur un sommet de pensée d’où s’offre à lui la vision d’un monde nouveau. Dans la pratique de la méditation jusqu’à ce stade, il y a eu une activité intense ; aucune condition de quiétude négative ou de réceptivité passive n’a été permise. Le corps physique a été oublié et le cerveau tenu dans un état de réceptivité positive, prêt à être mis en action par l’intellect, quand celui-ci tourne de nouveau son attention vers le bas.

Il faut nous rappeler que nous parlons symboliquement, lorsque nous employons des mots tels que "en haut" et "en bas", "plus haut" ou "plus bas".

Une des premières choses que le mystique doive apprendre, c’est qu’il n’existe pas de dimension dans la conscience et que l’ "intérieur", l’ "extérieur", "le plus haut" et "le plus bas" sont des expressions figurées, par lesquelles sont transmises certaines idées concernant des conditions de connaissance réalisées.

 Nous touchons maintenant au domaine transcendant. Nous poursuivons par le chemin de l’hypothèse. Le tangible et l’objectif sont temporairement oubliés et ne retiennent plus notre attention ; aucune forme de sensation n’est non plus visée. Pour l’instant, tout sentiment doit être exclu. Les petits ennuis, les peines comme les joies doivent être oubliés, car nous ne cherchons pas les "consolations de la religion". L’attention est concentrée dans l’intellect et les seules réactions retenues sont mentales. La pensée a dominé la conscience pendant la "méditation avec semence" ou avec un objet, mais cela doit être dépassé à présent.

 "Comment chasserai-je le mental hors du mental ?" a demandé un mystique. Car l’objectif n’est ni la sensation, ni le sentiment ; il n’est pas davantage la pensée. Là se trouve le grand obstacle à l’intuition et à l’illumination. L’effort de maintenir quelque chose dans l’intellect ne doit pas être prolongé ; il n’y a plus rien à quoi penser. Le raisonnement doit être mis de côté et l’exercice d’une faculté supérieure, jusque-là probablement inemployée, doit lui faire place. La pensée-semence a attiré notre attention, éveillé notre intérêt et de là s’est maintenue, pendant la phase de concentration. Cela se prolonge de nouveau dans la contemplation, et le résultat de cette dernière est l’illumination. Ici, nous avons un bref résumé du processus entier : Attraction,

Intérêt, Attention concentrée et réflexion prolongée sur un seul point, ou méditation.

 Quels ont été, jusqu’ici, les résultats de la méditation ? Ils peuvent se résumer ainsi :

 1. La réorganisation et la réorientation de l’intellect ;

 2. La concentration de l’attention sur le monde de la pensée et non plus sur celui des émotions ; d’où le retrait du foyer d’attraction des sens ;

 3. Le développement d’une faculté de concentration instantanée, préalablement à l’exercice de la méditation et la capacité de fixer l’intellect sur tout objet choisi.

Evelyn Underhill définit cette faculté de la manière suivante : "L’acte de parfaite concentration, la fixation passionnée du soi sur le point unique, quand dans l’unité de l’esprit et les liens de l’amour il est appliqué aux choses réelles et transcendantes, constitue dans le langage technique du mysticisme, l’état de méditation ou réflexion et (...) est le prélude nécessaire à la contemplation pure."

 Underhill Evelyn, Mysticism, p. 58.

III.L'Étape de la Contemplation

 

Nous pénétrons maintenant dans un domaine où deux choses nous gênent : l’emploi des mots qui ne servent qu’à limiter ou à déformer, et les écrits des mystiques mêmes, écrits remplis de beauté et de vérité mais qui sont colorés par le symbolisme de la race et de l’époque de leurs auteurs et par la qualité des sentiments et des émotions de ceux-ci. En règle générale, les mystiques flottent entre des moments d’illumination et de vision et des périodes nébuleuses d’émotion et d’aspiration. Tantôt ils éprouvent la joie et l’extase de la réalisation qui dure un instant, tantôt l’agonie du désir que l’expérience continue.

 Il semble qu’il n’y ait (dans la majorité des cas) nulle sûreté, nulle certitude de répétition, mais qu’il existe seulement une aspiration à ce qu’un tel état de sainteté se perpétue.

 Grâce à l’ancienne technique et à la méditation ordonnée dont l’Orient nous a dotés dernièrement, il semble possible de dépasser l’expérience mystique par la connaissance de la voie et par la compréhension du procédé, et de susciter à volonté la connaissance des choses divines et l’identification avec la Déité intérieure.

 La race possède maintenant l’équipement mental nécessaire et peut ajouter au chemin mystique celui de l’intellect conscient. Mais entre l’étape de la concentration prolongée, que nous appelons méditation et celle de la contemplation qui appartient à une toute autre catégorie, se place une période transitoire, nommée par les chercheurs orientaux "méditation sans semence", ou sans objet. Ce n’est pas la contemplation. Ce n’est pas non plus un mode de pensée. Cela est passé alors que le dernier stade n’est pas encore achevé. C’est un intervalle de stabilité mentale et d’attente. Frère Nouet a décrit cela de la manière suivante : 

 Quand l’homme de prières a fait des progrès considérables en méditation, il passe insensiblement à la prière effective qui, étant placée entre la méditation et la contemplation comme l’aube entre la nuit et le jour, possède quelque chose de l’une et de l’autre. A ses débuts, elle tient plus de la méditation parce qu'elle fait encore usage du raisonnement (...) parce que, ayant acquis beaucoup de lumière par l’emploi prolongé de considération et de raisonnements, elle entre immédiatement dans son sujet et en voit tous les développements, sans beaucoup de difficulté. D’où il résulte qu’en se perfectionnant elle écarte les raisonnements...

 Nouet Frère, Conduite de l'Homme d'Oraison, livre IV, chapitre 1.

 

Nous avons vu que la substance mentale, mouvante, sensitive, prompte à réagir, pouvait être réduite à l’état stable, par une méditation prolongée. Cela amène une condition mentale qui rend le penseur insensible aux vibrations et aux contacts provenant du monde extérieur phénoménal et du monde émotionnel et ainsi rend passifs l’appareil sensoriel, le cerveau, le vaste réseau du système nerveux.

 Tandis que l’homme est fermé au monde dans lequel il fonctionne habituellement, il conserve cependant une attention mentale intense, une orientation uniquement dirigée vers le monde nouveau qui est celui dans lequel vit et se meut ce que nous appelons l’âme. Le véritable élève apprend à être complètement éveillé mentalement, puissamment averti des phénomènes, vibrations et conditions de l’être. Il est positif, actif, confiant en lui-même, et le cerveau et l’intellect concentré sont intimement coordonnés. Il n’est point un rêveur dénué de sens pratique, cependant le monde des affaires pratiques et physiques est annulé temporairement. Si l’élève n’est pas naturellement du type mental positif, il devra, parallèlement à la pratique de la méditation, se soumettre à un entraînement intellectuel sérieux, destiné à créer l’agilité mentale et la polarisation. Autrement, le processus dégénérerait en rêverie, ou en vide mental. Ces deux états comportent leurs propres dangers et, s’ils se prolongeaient, ils rendraient l’homme inapte aux obligations quotidiennes ; il deviendrait de moins en moins utile à lui-même et à autrui et serait en proie aux imaginations désordonnées, aux fluctuations émotives. Dans un tel sol, l’égoïsme germe et le psychisme fleurit.

 Par conséquent, le mental positif, alerte, bien contrôlé, est porté en avant sur les ailes de la pensée puis maintenu stable, au plus haut point susceptible d’être atteint. Il est alors dans une condition analogue à celle à laquelle était parvenu le cerveau, antérieurement. Il est tenu dans une attitude expectante, alors que la conscience du penseur inaugure un nouvel état de perception ; son identification avec le véritable homme intérieur et spirituel s’ensuit. Ce qui est appelé techniquement "la conscience perceptive" attend.

 Ces deux étapes de la méditation, l’une d’intense activité, l’autre d’intense attente, ont été nommées les états de Marthe et de Marie ; cette métaphore rend l’idée plus claire. Ce qui est intérieur transpire au cours d’un moment de silence et c’est peut-être la partie de la technique la plus dure à maîtriser. Il est si facile de retomber dans l’activité intellectuelle que la méditation ordinaire comporte, car l’on n’a pas encore appris à contempler. Le Dr Bennett décrit cette étape comme suit, dans son commentaire sur Ruysbroeck.

 Ici, Ruysbroeck distingue deux marques de "vraie" passivité : premièrement, elle est "activement recherchée", c’est-à-dire qu’un certain effort est nécessaire pour la maintenir.

Secondement, elle diffère de toute espèce de détente naturelle ou automatique, par la préparation morale qui la précède...

Cette attente renforcée, cette réceptivité qu’on s’impose, qui est la marque définissant le stade de la contemplation, n’est pas la fin de la carrière du mystique. C’est la fin de son effort, en ce sens qu’il ne peut rien de plus, mais cela est destiné à ouvrir la voie à l’étape de l’extase, quand les choses sont retirées des mains de l’individu et qu’il devient le véhicule d’un pouvoir plus grand que lui. "Demeure avec persévérance en toi-même jusqu’à ce que tu sois tiré hors de toi-même, sans aucun acte de ta part."

 Bennett Charles A., A Philosophical Study of Mysticism, p. 62.

 

Plus loin, dans le même chapitre, le Dr Bennett parle de l’attention haletante, de l’attente durement gagnée, durement maintenue, de la divine révélation. Le vieux sage de l’Inde, Patanjali, nous dit la même chose : "La substance mentale est absorbée par ce qui est la Réalité (ou l’idée incorporée à la forme) et est ignorante de la séparativité ou du soi personnel". Ceci l’amène au stade de la contemplation et il entre dans la conscience de l’âme. Il découvre que c’est l’âme qui, tout le temps, l’incitait à s’unir à elle. Comment ? Un autre Hindou dit que "l’âme a les moyens. Penser est le moyen. Quand ceci a rempli sa tâche qui est de libérer, tout ce qui devait être fait est fait et cesse".

2 The Vishnu Purana, VI, 7, 90.

 

En contemplation, un agent supérieur intervient. C'est l'âme qui contemple.

La conscience humaine cesse d’être active et l’homme devient ce qu’il est en réalité, une âme, un fragment de la divinité, conscient de son unité avec la Déité. Le Soi Supérieur devient actif, et le soi inférieur ou soi personnel demeure entièrement immobile, tranquille, tandis que la véritable entité spirituelle pénètre dans son propre royaume et enregistre les contacts émanant de ce domaine des phénomènes spirituels.

 Le monde de l’âme est vu comme une réalité ; les choses transcendantes sont connues comme étant des faits dans la nature ; l’union avec la Divinité est comprise comme constituant un fait dans le processus naturel tout comme l’union entre la vie du corps physique et ce corps. La conscience de l’homme n’est donc plus concentrée dans l’intellect qui attend ; elle a dépassé la frontière, a pénétré dans le domaine de l’esprit et l’homme est devenu littéralement l’âme fonctionnant dans sa propre région, percevant les "choses du Royaume de Dieu", capable de vérifier directement la vérité et possédant la pleine conscience de sa nature, de ses prérogatives et de ses lois. Tandis que le véritable homme spirituel est actif de la sorte, dans sa propre nature et dans son milieu particulier, l’intellect et le cerveau demeurent stables, positifs, orientés vers l’âme et, de la facilité avec laquelle ceci sera accompli, dépendra leur capacité d’enregistrer et de retenir ce que l’âme perçoit.

 En méditation, nous cherchons à recevoir les impressions du Dieu intérieur, notre Soi Supérieur, directement transmises au cerveau physique, par l’intermédiaire du mental. En contemplation, nous entrons dans un stade plus avancé, nous nous efforçons d’ouvrir ce même cerveau physique à ce que l’âme elle-même perçoit en se tournant vers ces nouveaux champs de perception.

 Chez l’individu moyen, l’âme, en tant qu’organe qui perçoit, s’intéresse aux trois mondes de l’entreprise humaine et considère, par conséquent, les états physiques, émotifs et mentaux. Durant des millénaires, l’âme s’identifie aux formes à travers lesquelles s’établissent les contacts nécessaires à la connaissance des états inférieurs de conscience. Plus tard, lorsque l’homme, capable de contrôler son intellect, peut l’offrir à l’âme comme agent transmetteur, une vaste région de perceptions spirituelles peut s’ouvrir à lui.

L’âme elle-même peut alors devenir un agent transmetteur et passer au cerveau physique, par l’intermédiaire de l’intellect, quelques-unes des réalisations et certains des concepts de l’Esprit. Les élèves feront bien de se remémorer les paroles de la Doctrine Secrète :

 La matière est le véhicule pour la manifestation de l’âme sur ce plan d’existence, et, sur un plan plus élevé, l’âme est le véhicule pour la manifestation de l’Esprit, et ces trois forment une Trinité synthétisée par la Vie qui les pénètre tous.

 Blavatsky H. P., La Doctrine secrète, vol. I, p. 28.

 

Dans le langage occulte académique, ceci constitue la "réalisation" du mystique. Le cardinal de Richelieu appelle la contemplation "un état dans lequel l’homme voit et connaît Dieu sans employer l’imagination et sans raisonnement discursif". Et Tauler s’exprime ainsi :

 "Dieu désire demeurer dans les facultés supérieures, la mémoire, l’intellect et la volonté, et y opérer de façon divine. Là est Sa véritable demeure, Son champ d’action.

C’est là qu’Il trouve Sa ressemblance. C’est là que nous devons Le chercher, si nous voulons Le trouver et par le chemin le plus court. Alors, l’esprit est transporté bien au-delà de toutes les facultés, dans le vide d’une solitude immense dont aucun mortel ne peut parler avec justesse...

Plus tard, quand ces personnes reviennent à elles, elles se trouvent posséder une connaissance distincte des choses, plus lumineuse et plus parfaite que celle des autres.

 Cité par Poulain, Graces of Interior Prayer, p. 272.

 

La contemplation a été décrite comme étant une porte psychique conduisant d’un état de conscience à un autre. Jeremy Taylor la nomme "une transition entre la méditation intense et cette contemplation qui parvient à la vision des merveilles de Dieu, lorsque l’âme humaine entre dans le domaine de la divine lumière".

 Puglisi Mario, Prayer, p. 181.

 

François Malaval, qui vécut au XVIIème siècle, la définit magnifiquement :

Cet acte (la contemplation) est aussi plus parfait que le raisonnement, car, dans celui-ci, l’âme parle tandis que, dans cet acte, elle jouit. Le raisonnement (...) convainc l’âme par ses principes, mais ici, l’âme est plus illuminée que convaincue et voit plus qu’elle n’examine. Le raisonnement s’occupe de considérer un mot, une proposition ou un discours ; mais cette simple vue de Dieu, qui suppose tous les raisonnements comme étant choses passées, connues, contemple son objet en Dieu Lui-même.

 Malaval F., A Simple method of raising the Soul to Contemplation, p. 102.

 

Par cette porte de la vision, l’homme passe et découvre qu’il est l’âme ; de ce poste élevé, il comprend qu’il est "Celui qui perçoit" capable d’observer à la fois le monde des réalités spirituelles et celui de l’expérience quotidienne ; il peut regarder à volonté, dans l’une ou l’autre direction. Le problème est

d’acquérir, dans la pratique de la perception sur les plans spirituels, une facilité égale à celle que nous avons développée sur les niveaux terrestres, et l’un des points importants dont nous avons à nous souvenir est que, dans les deux cas, la triplicité de l’âme de l’intellect et du cerveau joue son rôle mais avec une orientation et une attention différentes. Cela devient simplement une question de centre. Le cerveau est actif d’une manière pratiquement subconsciente par rapport aux instincts et aux habitudes qui dirigent notre vie physique et nos appétits. Par une éducation appropriée, il apprend à être réceptif vis-à-vis des impressions émanant du mental, et, au lieu d’être seulement un enregistreur sensoriel, il apprend à réagir aux impressions de la pensée. Le mental, à son tour, a une tendance instinctive à enregistrer toutes les informations provenant de l’extérieur, mais il peut être entraîné à devenir réceptif vis-à-vis de l’âme et à enregistrer les informations émanant de cette source plus haute.

 Avec le temps nous pouvons acquérir la facilité dans la pratique d’utiliser tantôt le cerveau, tantôt l’intellect, activement ou passivement, établissant ensuite une relation parfaite entre les deux et, finalement, entre l’âme, le mental et le cerveau. Tout ce qui est advenu au cours des trois étapes que nous avons considérées peut se résumer par ces paroles de Patanjali :

 "La conquête graduelle de la tendance de l’intellect à voltiger d’un objet à un autre (c’est-à-dire la concentration) et la capacité de maintenir l’attention fixée sur un seul point (c’est à-dire la méditation) constituent le développement de la contemplation."

 Bailey Alice A., The Light of the Soul, III, 11.

 

De plus, quand il y a simultanéité dans l’exercice des trois processus, "la triple capacité d’attention, de méditation et de contemplation, est plus intérieure que les moyens de connaissance précédemment décrits". Il est intéressant de noter que Malaval, dans son second traité, Dialogue III, lie de même en un acte synthétique la foi, la méditation et la contemplation. Les "Connaisseurs" orientaux et occidentaux pensent de même.

 Dans son très utile ouvrage, Mysticisme, Evelyn Underhill définit la contemplation : "Un calme entre deux activités". Durant cet apaisement, une nouvelle manière de connaître et d’être est instituée. C’est peut-être une des façons les plus simples et les plus pratiques de comprendre la contemplation.

C’est l’interlude pendant lequel l’âme est active. Cette activité de l’âme est précédée par ce que nous pourrions appeler une activité vers le haut. Le cerveau physique a été tranquillisé et maintenu dans un état de complète stabilité, de même l’appareil du sentiment ou appareil sensoriel, auquel il n’est plus permis d’enregistrer les informations provenant de son champ de perceptions habituel : l’intellect a été concentré et tenu activement passif dans la lumière qui ruisselle du royaume de l’âme. Nous refusons toute information provenant du monde phénoménal habituel. Ceci résulte d’une concentration et d’une méditation correctes ; il s’ensuit un interlude dans lequel l’homme sait qu’il est une âme demeurant dans l’éternel et libre des limitations de la forme. Au début, cet interlude est nécessairement bref, mais il se prolonge au fur et à mesure des progrès accomplis dans le contrôle de l’intellect. La clé du procédé réside dans le maintien de la concentration de l’intellect, "tandis que l’âme, l’homme spirituel, l’être qui perçoit contemple".

 Dans un livre précédent, j’ai expliqué plus complètement l’emploi du mental comme instrument de l’âme ; j’en reproduirai seulement un paragraphe :

 Cependant, il doit être clairement entendu que celui qui perçoit, sur son propre plan, a toujours été conscient de ce qu’il reconnaît comme actuel ; la différence est dans le fait que, maintenant, l’intellect est maîtrisé. En conséquence, le penseur peut impressionner le cerveau par l’intermédiaire de l’intellect et l’imprégner de ce qu’il a perçu. L’homme sur le plan physique, lui aussi, perçoit simultanément et, pour la première fois, la méditation et la contemplation véritables deviennent possibles. Pour commencer, cela ne durera qu’une brève seconde. Un éclair de perception intuitive, un moment de vision et d’illumination et tout est fini. L’intellect recommence à se modifier, devient actif ; la vision se dissipe, l’instant d’exaltation cesse ; la porte donnant sur le domaine de l’âme semble fermée soudain. Mais l’assurance est acquise ; le cerveau a enregistré une lueur de la réalité et le succès futur est garanti.

 Bailey Alice A., The Light of the Soul, III, 9.

 

La seconde activité concerne un double travail accompli par l’intellect.

Immobilisé dans la lumière, il enregistre maintenant les idées, les impressions, les concepts communiqués par l’âme en contemplation et les traduit par des phrases, construisant des formes-pensées et des images mentales précises. C’est ici qu’apparaît la nécessité d’un bon instrument mental. Une mémoire bien pourvue, un intellect soigneusement cultivé, faciliteront le travail de l’âme, dont le savoir sera enregistré avec exactitude. Alors, succédant à l’activité mentale, s’effectuera la transmission des informations obtenues au cerveau tranquille et dans l’attente.

 Lorsque l’âme a appris à manier son instrument par l’intermédiaire de l’intellect et du cerveau, des rapports directs peuvent s’établir de l’une à l’autre et de plus en plus, en sorte que l’homme peut, à volonté, concentrer son esprit sur les affaires terrestres, comme membre actif de la société, ou sur les choses célestes et fonctionner dans son être véritable, comme un Fils de Dieu. Lorsque ceci est le cas, l’âme utilise l’intellect comme agent transmetteur et le cerveau physique est entraîné à répondre à ce qui lui est communiqué. Un véritable Fils de Dieu peut vivre simultanément en deux mondes : il est citoyen de la terre et du royaume de Dieu. Je ne saurais mieux clore ce chapitre qu’en citant ces mots d’Evelyn Underhill :

 La pleine conscience spirituelle du véritable mystique est développée non pas dans une mais dans deux directions, en apparence opposées mais en réalité complémentaires... D’une part, il est intensément conscient de lui-même et se sait un avec le monde actif du devenir (...) d’où, bien qu’ayant rompu à jamais avec l’esclavage des sens, il découvre à toutes les manifestations de la vie un sens sacramentel, une beauté, une signification exaltée, cachée aux autres hommes... D’autre part, la pleine conscience mystique parvient à ce qui est, je crois, sa qualité réellement caractéristique. Elle développe la capacité d’appréhender l’Absolu, l’Etre Pur, ce qui est complètement transcendant...

Cette expansion de la conscience dans toutes les directions, avec son double pouvoir de connaître par la communion le temporel et l’éternel, l’immanent et le transcendant aspect de la réalité (...) est la marque particulière, ultimo sigillo du grand mystique.

 Underhill EveLyn, Mysticism, pp. 42-43.

 

Nous considérerons ensuite, les résultats de cette double activité ainsi que la facilité des rapports. L’intuition commence à fonctionner, l’illumination est une expérience ; la vie inspirée avec ses multiples caractéristiques doit être étudiée ; c’est ce à quoi nous allons nous efforcer, dans notre chapitre prochain.

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