CHAPITRE V — LE PROBLEME DES MINORITES RACIALES

CHAPITRE V

LE PROBLEME DES MINORITES RACIALES


Ce problème présente une très grande difficulté, surtout à présent et durant la période de reconstruction. Il est aussi extrêmement difficile de l'aborder de manière à ne susciter aucun antagonisme. Car rares sont ceux qui sont capables d'envisager le sujet sans préjugé, ou avec impartialité complète. De nos jours, on est violemment pour ou contre presque tout et, en particulier, s'il s'agit de problèmes concernant la nationalité ou la race. Je m'en rends compte et, quoi qu'on en dise, je sais que cela suscitera autant d'antagonisme que d'approbation.
Je me propose donc, vu ces conséquences inévitables, d'exprimer ce que j'ai à dire dans les termes les plus simples et les plus francs, sans craindre les critiques, ni aspirer au succès. Il faut aujourd'hui dire la vérité, pour éclaircir les idées des gens.

Certains problèmes actuels ont besoin d'être reconsidérés et certaines choses doivent être dites, qu'on a peur de dire. Certaines circonstances doivent être exposées à l'opinion publique, de manière à mettre en pleine lumière la situation existante. Le problème racial est fort obscurci par sa perspective historique et la façon de le poser. Toutes deux sont malsaines et fausses.
D'antiques haines, des jalousies nationales contribuent à l'embrouiller. Elles sont inhérentes à l'humaine nature, mais sont nourries et entretenues par des politiciens partisans et par ceux qu'animent des intentions secrètes et égoïstes.
Des ambitions nouvelles croissent rapidement et fomentent aussi la difficulté.
Ambitions justes et saines, surtout dans le cas du Noir, qui fait partie des minorités que je compte examiner. Ces ambitions sont néanmoins exploitées et déformées par des intérêts politiques égoïstes et des fauteurs de troubles.
D'autres facteurs encore conditionnent le problème racial, comme la misère économique dont souffrent tant de gens, le contrôle impérialiste exercé par certaines nations, le manque d'instruction, ou une civilisation trop ancienne, qui manifeste des signes de dégénérescence. Ces facteurs et bien d'autres se retrouvent partout, et conditionnent la pensée humaine, leurrant les masses affectées par ce problème et gênant considérablement les efforts de ceux qui cherchent à agir correctement et à développer une attitude mieux équilibrée et plus constructive au sein des minorités. Celles-ci, comme le reste de l'humanité, sont soumises aux forces infaillibles de l'évolution et, consciemment ou non, luttent pour une existence plus élevée et meilleure, pour des conditions de vie plus saines, pour plus de liberté personnelle et raciale, enfin pour un niveau bien supérieur de justes relations humaines.

La sensibilité de ces minorités, le feu de leur ambition immédiate et exprimée, la violence et le parti-pris de ceux qui parlent et combattent en leur nom empêchent la majorité d'entre eux d'aborder leur problème avec le calme et la froide raison nécessaires pour juger des rapports de leur problème avec l'ensemble de l'humanité. L'étroitesse et le nationalisme stupide de la moyenne des citoyens parmi lesquels ces minorités sont forcées de vivre, la répugnance habituelle de la majorité à l'égard du changement, l'attachement aux coutumes établies de longue date et l'égoïsme, l'égocentrisme de la plupart des gens, rendent difficile d'accorder aux minorités, sans parler de la justice, le droit même de parler. Les défauts raciaux sont plus connus que les vertus. Les qualités raciales se trouvent en conflit avec des caractéristiques nationales ou des tendances mondiales et cela ajoute encore aux difficultés. Les efforts des citoyens bien intentionnés, qui sont nombreux, et les projets d'humanitaires convaincus, destinés à aider ces minorités ne reposent trop souvent que sur la bonté, des principes chrétiens et le sens de l'équité. Ces excellentes qualités, toutefois, s'accompagnent souvent, en pratique, d'une ignorance profonde des faits exacts, des valeurs historiques et des différentes relations impliquées.
Souvent, en outre, elles s'inspirent d'un fanatisme combatif, touchent à la haine de la majorité qui, aux yeux de qui mène le combat, est responsable des cruelles injustices infligées aux minorités raciales. Il ne peut admettre que la minorité elle-même ne soit pas sans défaut et que, dans une certaine mesure, elle aussi est responsable de quelques difficultés. Ces défauts et ces difficultés raciales sont en général franchement ignorées par la minorité même et par ses partisans. Elles peuvent être entièrement attribuables au degré d'évolution, au milieu défavorable et, comme dans le cas des Noirs des Etats-Unis, à un genre de tempérament, qui les rend fondamentalement irresponsables de ces difficultés. Par ailleurs, la responsabilité de la minorité en lutte peut être bien plus grande qu'elle ne veut l'admettre, comme pour la minorité juive du monde. Les Juifs sont un peuple d'une antique civilisation, dotés de leur propre culture et de caractéristiques inhérentes, qui expliquent peut-être beaucoup de leurs misères. La difficulté peut aussi être surtout d'ordre historique et basée sur certaines incompatibilités essentielles, comme il peut en exister entre peuples conquérants et conquis, entre un groupe militant et un groupe négatif et pacifique. Tel est le cas aujourd'hui entre Musulmans et Hindous en Inde. A tous ces facteurs contribuant au problème des minorités, il faut ajouter les tendances séparatistes que les différents systèmes religieux ont attisées et continuent aujourd'hui d'attiser délibérément. L'étroitesse des fois religieuses est une cause qui contribue puissamment aux divergences.

Dès le début de notre discussion, il serait sage de se rappeler que tout le problème examiné remonte, à l'origine, à cette faiblesse humaine si marquée, ou dirons-nous cette faute, le grand péché ou l'hérésie de la séparativité.
Sûrement, nul péché n'est pire, car il est responsable de toute la gamme des maux humains. Il excite un individu contre son frère, lui fait considérer son propre intérêt égoïste comme d'une importance suprême, l'amène inévitablement au crime et à la cruauté. La séparativité constitue le plus grand obstacle au bonheur du monde car il oppose l'homme à l'homme, le groupe au groupe, une classe à une autre, nation contre nation. Elle engendre un sentiment néfaste de supériorité et conduit à cette doctrine pernicieuse des nations et des races supérieures ou inférieures ; elle produit l'égoïsme économique et entraîne l'exploitation économique des êtres humains, les barrières douanières, la condition des riches et des déshérités, les ambitions territoriales, les extrêmes de la fortune ou de la misère. Elle met fortement l'accent sur l'avidité matérielle, sur les frontières et sur la dangereuse doctrine de la souveraineté nationale, avec ses diverses implications égoïstes. Elle entretient la méfiance entre les peuples et la haine dans le monde entier et, depuis toujours, à entraîné des guerres cruelles et fatales. Elle a conduit, aujourd'hui, la population de toute la planète à un si terrible état que, partout, des hommes commencent à comprendre qu'à moins d'un changement fondamental, l'humanité est déjà presque condamnée. Mais qui organisera le changement nécessaire et où est l'autorité qui le réalisera ? L'humanité tout entière doit regarder en face cet état de choses, en reconnaissant qu'au fond, il exprime une faute universelle ; ainsi, l'humanité peut effectuer le changement requis et une nouvelle occasion d'agir correctement lui est offerte, menant à de justes relations humaines. Tous les péchés contre son semblable, tous les crimes et les méchancetés, individuels, nationaux et internationaux, doivent leur origine à cette même tendance fondamentale, le péché de séparativité. C'est là, certes, le péché contre le Saint-Esprit.

Au point de vue du problème des minorités qui nous occupe, ce sens de séparativité (avec ses lointaines conséquences) peut se diviser en deux catégories principales ; étroitement liées elles sont presque impossibles à traiter séparément.

D'abord, l'esprit nationaliste, avec son sentiment de souveraineté et ses désirs et ambitions égoïstes. Au pis, il jette une nation contre une autre, attise le sens de la supériorité nationale et conduit les citoyens d'une nation à se regarder, eux et leurs institutions, comme supérieurs aux autres nations. Il cultive l'orgueil de la race, la fierté de son histoire, de ses richesses, des progrès de sa culture et engendre l'arrogance, la vantardise et le mépris à l'égard d'autres civilisations ou cultures, ce qui est mal et dégradant. Cela engendre aussi la disposition à sacrifier les intérêts d'autrui aux siens propres et une impossibilité de principe à admettre que "Dieu a fait tous les hommes égaux".
Ce genre de nationalisme est universel et se trouve partout : aucune nation n'en est exempte. Il indique un aveuglement, une cruauté et un manque de sens des proportions, dont l'humanité paie déjà le terrible prix et qui achèvera de la ruiner, si elle persiste.

Il y a, bien sûr, un nationalisme idéal, contraire à tout cela, mais il n'existe que dans l'esprit de quelques personnalités éclairées, dans tous les pays, sans présenter encore un aspect efficace et constructif dans n'importe quelle nation, où que ce soit. Il demeure un rêve, un espoir et, nous voulons le croire, une ferme intention. Ce genre de nationalisme encourage justement sa civilisation individuelle, mais comme un apport national au bien général de la communauté des nations, et non comme moyen de se glorifier soi-même. Il défend sa constitution, ses terres, son peuple par la rectitude et la beauté de son mode de vie, et le désintéressement de son attitude. Il n'enfreint, sous aucun prétexte, les droits d'autres peuples ou nations. Il vise à améliorer et à perfectionner son propre mode de vie, pour en faire bénéficier toute la terre.
C'est un organisme vivant, vital et spirituel, et non une organisation égoïste et matérielle.

En second lieu, vient le problème des minorités raciales. Elles offrent un problème, à cause de leurs relations avec les nations au sein desquelles elles se trouvent. C'est, en grande mesure, un rapport de plus faible à plus fort, entre peu et beaucoup d'hommes, entre individus développés et sous-développés, ou entre deux croyances religieuses, dont l'une, plus puissante, exerce le contrôle.
Il est étroitement lié au problème du nationalisme, de la couleur, du processus historique, et des plans d'avenir. C'est actuellement un problème majeur et des plus critiques dans toutes les parties du monde.

En étudiant ce problème crucial (dont dépend pour beaucoup la future paix du monde), il faut nous efforcer de garder notre propre attitude mentale et nationale à l'arrière-plan et de regarder le problème qui émerge à la lumière de la déclaration faite dans la Bible : "Il n'y a qu'un seul Dieu, Père de tous, supérieur à tout, en tout et en chacun de nous." Considérons cette déclaration comme une explication scientifique et non comme un pieux espoir religieux.
Dieu nous a tous faits d'un seul sang et ce Dieu, sous l'aspect transcendant, comme sous l'aspect immanent, qu'on le considère comme énergie ou comme intelligence, qu'on le nomme Dieu, Brahma, l'Abstrait ou l'Absolu, est universellement reconnu. De même, selon la grande Loi de l'Evolution et le processus de la création, les hommes sont sujets aux mêmes réactions que leur milieu, aux mêmes douleurs, aux mêmes joies, aux mêmes anxiétés, aux mêmes appétits et aux mêmes désirs d'une vie meilleure, aux mêmes aspirations mystiques, aux mêmes tendances à pécher et à convoiter, aux mêmes égoïsmes, et à la même étonnante aptitude à exprimer un divin héroïsme, au même amour et à la même beauté, au même orgueil inné, au même sens du divin et aux mêmes efforts fondamentaux. Sous l'effet du processus évolutif, les hommes et les races se distinguent par leur développement mental, leur résistance physique, leurs possibilités créatrices, leur intelligence, leur perception humaine et leur position sur l'échelle de la civilisation. C'est toutefois temporaire, car les mêmes potentialités existent chez tous, sans exception, et se manifesteront avec le temps. Ces distinctions, qui, dans le passé, ont placé les hommes et les races à de telles distances les uns des autres, s'effacent rapidement, avec la propagation de l'instruction et les découvertes de la science, qui unissent et rapprochent tellement tous, enfin, avec la faculté de penser, de lire et de tirer des plans. Toute évolution est cyclique de nature.
Nations et races traversent les mêmes cycles d'enfance, de croissance, de virilité, de maturité, de déclin et de disparition, comme un être humain. Mais derrière ces cycles, l'esprit humain, triomphant, s'élève de sommet en sommet, d'accomplissement en accomplissement, vers le but ultime que n'aperçoit encore aucun homme, mais qui se résume pour nous dans la possibilité d'être semblable à ce que le Christ fut dans le monde. Telle est l'espérance qui nous est donnée, dans le Nouveau Testament et par tous les Fils de Dieu à travers les âges, en tous pays et dans toutes les religions.

Pour étudier notre sujet, il nous faut maintenant faire deux choses, d'abord voir ce qui fait une minorité d'un peuple, d'une race ou d'une nation et, ensuite, considérer dans quelle direction peut se trouver la solution.

Le monde d'aujourd'hui est rempli de minorités, qui, à tort ou à raison, mais à grands cris, réclament l'attention de la majorité. Certaines de ces majorités sont sincèrement désireuses de faire justice aux minorités, qui luttent et se plaignent. D'autres les utilisent comme arguments à leurs propres fins et se font les champions des nations faibles ou petites, non pour des motifs humanitaires, mais par politique, pour augmenter leur puissance, tout comme la
France défend aujourd'hui la cause des petites nations pour rehausser le prestige français et regagner sa position perdue.