CHAPITRE IV LES OBJECTIFS DE LA MÉDITATION

CHAPITRE IV

 LES OBJECTIFS DE LA MÉDITATION

 

 Comparaison entre la méditation et la prière.

 L’intellect humain comme faculté.

 Son emploi par rapport à l’intuition.

 L’instinct, l’intellect, l’intuition et l’illumination.

 "L’union est obtenue en subjuguant la nature psychique et par la contrainte de la substance mentale. Quand ceci est accompli, le Yogi se connaît tel qu’il est en réalité "

 PATANJALI.

 

Admettant l’exactitude des théories esquissées dans les chapitres précédents, il est peut-être utile d’exposer clairement vers quel but précis tend l’homme cultivé, lorsqu’il entre dans la voie de la méditation et en quoi cette voie diffère de ce que les chrétiens appellent prière. Une notion précise de ces deux points est essentielle si nous voulons progresser, car la tâche qui attend l’investigateur est ardue ; il lui faudra plus qu’un enthousiasme éphémère et un effort temporaire s’il veut venir à bout de cette science et bénéficier de sa technique. Considérons le dernier point en premier et comparons les deux méthodes, celle de la prière et celle de la méditation. Peut-être la prière peut-elle être définie au mieux par ces lignes de J. Montgomery, qui nous sont bien connues :

 La prière est le désir sincère de l’âme,

 Exprimé ou non exprimé ;

 Le mouvement d’un feu caché

 Qui tremble dans la poitrine.

 Dans la prière, la pensée est celle d’un désir, d’une requête ; et la source du désir est le cœur. Mais il faut se rappeler que le désir du cœur peut avoir pour objet soit l’acquisition des biens que la personnalité convoite, soit celle des biens célestes et transcendants, auxquels l’âme aspire. Dans l’un et l’autre cas, l’idée fondamentale est de demander ce que l’on souhaite et le facteur anticipation intervient ; quelque chose est finalement acquis, pourvu que la foi du suppliant soit assez forte.

 La méditation diffère en ce qu’elle est en premier lieu une orientation de l’intellect, laquelle amène des réalisations, des récognitions qui deviennent une connaissance formulée. Il existe une grande confusion dans les esprits quant à cette distinction et Bianco de Sienne parlait bien de la méditation quand il disait :

 Qu’est donc la prière, sinon le mouvement de l’intellect se tournant directement vers Dieu.

 Les masses polarisées dans leur nature émotionnelle et à tendance mystique prédominante demandent ce dont elles ont besoin ; elles combattent dans la prière pour l’acquisition de vertus désirées, elles supplient une Déité attentive d’apaiser leurs difficultés ; elles intercèdent pour ceux qui leurs sont proches et chers ; elles importunent les Cieux afin d’obtenir ces biens matériels ou spirituels qu’elles sentent essentiels à leur bonheur. Elles aspirent à des qualités, elles souhaitent des circonstances qui rendront leur existence plus facile, ou les libéreront pour des fins qu’elles croient plus utiles ; elles agonisent en prière, implorant le soulagement de leurs souffrances et de leurs maladies, et elles cherchent à obtenir de Dieu une réponse à leurs prières pour une révélation. Mais demander, réclamer et attendre sont les principales caractéristiques de la prière, avec le désir prédominant et le cœur engagé. C’est la nature émotive et la partie sentante de l’homme qui recherche ce qui est nécessaire, et les besoins sont multiples, vastes et réels. C’est l’accès par le cœur.

 On peut reconnaître quatre degrés de prière :

 1. La prière pour des bénéfices matériels et pour une aide ;

2. La prière pour des vertus et des grâces de caractère ;

3. La prière pour autrui, prière d’intercession ;

4. La Prière pour l’illumination et pour la divine réalisation.

 On verra, à l’étude de ces quatre types de prière, qu’elles ont toutes leurs racines dans la nature émotionnelle (désir) et que la quatrième amène l’aspirant au point où la prière peut finir et la méditation commencer. Sénèque dut comprendre cela quant il écrivit : "Aucune prière n’est nécessaire, excepté pour demander un bon état d’esprit et la santé (la plénitude) de l’âme."

 La méditation fait monter le travail sur le plan mental, le désir fait place au travail pratique préparant au divin savoir, et l’homme qui avait commencé sa longue carrière et l’expérience de la vie avec le désir comme qualité fondamentale, ayant atteint le stade de l’adoration de la divine Réalité vaguement entrevue, cet homme passe maintenant hors du domaine mystique dans celui de l’intellect, de la raison et d’une finale réalisation. La prière, plus un altruisme discipliné, produit le mystique ; la méditation, plus le service discipliné, organisé, produit le connaisseur. Le mystique, comme nous l’avons vu, perçoit les divines réalités et (du haut de son aspiration) entre en contact avec la vision mystique ; il aspire perpétuellement à la répétition constante de l’état extatique dans lequel la prière, l’adoration et la vénération l’ont plongé. Il est généralement incapable de répéter à volonté cette initiation.

Le Père Poulain, dans Des grâces de l'Oraison, maintient qu’aucun état n’est mystique à moins que le voyant soit incapable de le produire lui-même. Dans la méditation, le cas est inverse ; et par le savoir et la compréhension, l’homme illuminé est capable d’entrer à volonté dans le domaine de l’âme et de participer intelligemment à sa vie et à ses états de conscience. L’une des méthodes implique la nature émotionnelle et est basée sur la croyance en un Dieu qui peut donner ; l’autre implique la nature mentale et est basée sur la croyance en la divinité de l’homme lui-même quoiqu’il ne nie pas les prémisses de l’autre groupe.

 On découvrira cependant que le mot mystique est employé dans un sens très large, qui couvre non seulement le pur mystique, avec ses visions et ses réactions sensorielles, mais aussi ceux qui passent dans le royaume de la connaissance pure et de la certitude. Il couvre ces états inattendus et intangibles, étant basés sur la pure aspiration et la dévotion, et aussi ceux qui sont le résultat d’une approche ordonnée intelligente, de la Réalité et qui sont susceptibles de répétition grâce aux lois que le connaisseur a apprises. C’est de ces deux groupes que Bertrand Russel traite d’une façon des plus intéressantes, quoiqu’il emploie le terme mystique dans les deux cas. Ses paroles forment un prélude séduisant à notre thème. 

 La philosophie mystique, dans tous les temps et dans toutes les parties du monde, est caractérisée par certaines croyances qui sont illustrées par les doctrines que nous avons considérées.

 Il y a d’abord la croyance en la connaissance opposée au savoir discursif et analytique ; la croyance en un mode de sagesse subit, pénétrant, coercitif, qui contraste avec la lente et faillible étude de l’apparence extérieure, par une science reposant entièrement sur les sens.

La connaissance mystique commence par un sens de mystère dévoilé, de sagesse cachée devenue soudainement certaine, sans doute possible. Le sentiment de certitude et de révélation devance toute croyance définie. Les croyances définies auxquelles les mystiques parviennent sont le résultat de la réflexion sur la connaissance gagnée au cours de l’expérience...

Le premier et le plus direct résultat du moment d’illumination est la croyance en la possibilité d’un mode de savoir qui peut être appelé révélation, connaissance, ou intuition, par contraste avec les sens, la raison et l’analyse qui sont considérés comme des guides aveugles conduisant aux marécages de l’illusion. La conception d’une Réalité au-delà du monde des apparences, et entièrement différente de lui, est intimement liée à cette croyance. Cette Réalité est considérée avec une admiration allant parfois jusqu’au culte ; elle est perçue comme proche, partout et toujours, faiblement voilée par les artifices des sens et prête à briller dans toute sa gloire pour le mental réceptif, en dépit de l’apparente folie et de la méchanceté des hommes.

 Le poète, l’artiste et l’amoureux sont les chercheurs de cette gloire : la beauté qui les hante et qu’ils poursuivent en est le faible reflet. Mais le mystique vit dans la pleine lumière de la vision : ce que les autres cherchent vaguement, lui le sait d’un savoir auprès duquel tout savoir est ignorance. La seconde caractéristique du mysticisme est la croyance en l’unité et le refus d’admettre l’opposition ou la division où que ce soit.

 Une troisième marque de presque toutes les métaphysiques mystiques est la négation de la réalité du temps.

Ceci est le résultat de la négation de la division ; si tout est un, la distinction entre le passé et l’avenir doit être illusoire...

 La dernière des doctrines du mysticisme que nous ayons à considérer est la croyance que le mal est une simple apparence, une illusion produite par les divisions et les oppositions de l’intellect analytique. Le mysticisme ne prétend pas que les choses telles que la cruauté, par exemple, soient bonnes, mais il nie qu’elles soient réelles ; elles appartiennent au monde inférieur des fantômes desquels nous devons nous libérer par la vision... (Russell Bertrand, Mysticism and Logic, pp. 8, 9, 10, 11)

 Mais le chemin du mystique prépare au chemin du savoir et quand le mystique s’arrête en adoration devant la vision, aspirant au Bien-Aimé, le chercheur, aspirant à la connaissance véritable, saisit la tâche et continue le travail.

 Le Dr Bennett, de Yale, à la fin de son livre sur le mysticisme, dit :

 Le mystique, à la fin de sa préparation, attend simplement une apparition et un événement qu’il a soin de ne pas définir trop particulièrement ; il attend aussi, pleinement conscient que son effort l’a porté aussi loin qu’il puisse aller et que cela doit être complété par un contact quelconque, venant de l’extérieur.

 Bennett Charles A., A Philosophical Study of Mysticism, p. 192.

 Cette pensée limite l’idée au royaume de la perception sensorielle, mais il y a quelque chose de plus. Il y a une connaissance directe. Il y a une compréhension des lois qui gouvernent le nouveau royaume de l’être. Il y a une soumission à une nouvelle procédure comprenant des étapes, des mots de passe, qui conduisent à la porte et en provoquent l’ouverture. C’est ici que la méditation joue son rôle et que l’intellect intervient pour remplir sa nouvelle fonction : susciter la révélation. Par la méditation, l’union à laquelle le mystique aspire, qu’il pressent et de laquelle il a de brèves et fugitives expériences, devient définie et connue sans contredit, étant recouvrable à volonté.

 Le Père Joseph Maréchal, dans son remarquable ouvrage, fait observer que :

 (...) les symboles s’évanouissent, les images s’effacent, l’espace disparaît, la multiplicité est réduite, le raisonnement silencieux, le sentiment d’extension se rassemble et puis se rompt ; l'activité intellectuelle est entièrement concentrée en son intensité, elle saisit sans intermédiaire, avec la souveraine certitude de l’intuition, l’Etre, Dieu...

 L’intellect humain, alors, est une faculté en quête de son intuition, c’est-à-dire de l’assimilation de l’Etre, de l’Etre pur et simple, souverainement Un, sans restriction, sans distinction d’essence et d’existence, de possible, de réel.

 1 Maréchal Joseph S. J., Studies in the Psychology of the Mystics. pp. 32, 101.

 Prendre l’intellect, et le plier à sa nouvelle tâche de révélateur du divin, est maintenant l’objectif du mystique convaincu. Pour faire cela avec succès et avec bonheur, il aura besoin d’une vision précise de son but et d’une compréhension lucide des résultats consécutifs à démontrer. Il devra faire le compte exact des capacités, des déficiences et des défauts avec lesquels il aborde son entreprise. Il devra acquérir une notion de lui-même aussi équilibrée que possible et, parallèlement, une notion également équilibrée du but ; une compréhension du prodige de cette réalisation et des dons qui seront siens, quand son intérêt sera transféré des choses qui accaparent maintenant son attention, aux valeurs et aux standards plus ésotériques.

 Nous avons vu que la méditation est un procédé par lequel l’intellect est réorienté vers la Réalité et qui, convenablement employé, peut conduire l’homme dans un autre royaume de la nature, lui conférer un autre état de conscience et d’Etre, dans une autre dimension. Le but de cet accomplissement a été transféré dans des régions de pensée, de réalisations supérieures. Quels sont les résultats précis de cette réorientation ?

 L’on peut déclarer tout d’abord que la méditation est la science qui nous permet d’arriver à une expérience directe de Dieu. Ce en quoi nous vivons, nous mouvons et avons l’être, n’est plus l’objet d’une aspiration, ou le symbole d’une possibilité divine. Nous connaissons Dieu comme la Cause Eternelle et la source de tout ce qui est, nous inclus. Nous reconnaissons le Tout. Nous devenons un avec Dieu en devenant un avec notre propre âme immortelle et, quand cet événement prodigieux a lieu, nous découvrons que la conscience de l’âme individuelle est la conscience du tout et que la séparation, la division et les concepts du moi et du toi, de Dieu et de l’enfant de Dieu, se sont dissous dans la connaissance et la réalisation de l’unité. Le dualisme a fait place à l’unité. Ceci est le chemin de l’Union. La Personnalité intégrée a été dépassée par un procédé ordonné de déploiement de l’âme ; et une fusion consciente du soi personnel ou inférieur, avec le [21@73] Soi Supérieur ou Divin, a été suscitée. Cette dualité doit d’abord être réalisée et alors dépassée, avant que le Soi Réel devienne, dans la conscience de l’homme, le Suprême Soi. Il a été dit que les deux parties de l’homme, pendant de longs âges, n’ont rien eu en commun ; ces deux parties sont l’âme spirituelle et la nature de la forme, mais ces parties sont jointes éternellement par le principe mental (et c’est en cela que se trouve la solution du problème de l’homme). Dans un livre antique des Hindous, la Bhagavad-Gitâ, on trouve ces paroles significatives :

 Le Soi est l’ami du soi, pour celui en qui le soi est conquis par le Soi ; mais pour celui qui est loin du Soi, Son propre soi est hostile comme un ennemi. (Bhagavad-Gitâ, VI, 6.)

 

Saint Paul dit pratiquement la même chose, dans son cri désespéré :

 Je sais que le bien n’habite pas en moi, c’est-à-dire en ma chair, car vouloir le bien est en mon pouvoir, mais le faire non... Je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur, mais je vois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de ma raison et fait de moi le captif de la loi du péché, laquelle est dans mes membres. Malheureux que je suis ! Qui me délivrera (le Soi réel) du corps qui cause cette mort

 2 Romains, VII, 18, 22, 23, 24.

 

Le Soi réel est Dieu (...) Dieu triomphant, Dieu le Créateur, Dieu le Sauveur des hommes. C’est, selon les paroles de saint Paul, "Christ en nous, l’espérance de gloire". Cela n’est plus une théorie, mais un fait dans notre conscience.

 La méditation transforme nos croyances en faits réels et nos théories en expériences vécues. La déclaration de saint Paul demeure simplement un concept et une possibilité jusqu’à ce que, par la méditation, la vie du Christ soit évoquée et devienne le facteur dominant dans la vie quotidienne. Nous parlons de nous-mêmes comme étant divins et comme étant des fils de Dieu. Nous connaissons ceux qui ont démontré leur divinité au monde et qui se tiennent au premier rang de la recherche humaine, témoignant de facultés au-delà de notre portée. Nous sommes conscients, en nous-mêmes, d’efforts qui nous ont poussés vers le savoir, et d’incitations intérieures qui ont forcé l’humanité à monter l’échelle de l’évolution, jusqu’au degré actuel de ce que nous appelons les humains cultivés. Une divine instance nous a conduits de la condition préhistorique aux conditions de notre civilisation moderne. Par-dessus tout, nous connaissons ceux qui possèdent ou prétendent posséder une vision des choses célestes, que nous aspirons à partager, et qui attestent qu’il y a un chemin direct jusqu’au centre de la Divine Réalité, chemin, qu’ils nous demandent de suivre aussi. On nous dit qu’il est possible d’avoir une expérience directe et la note caractéristique de notre temps moderne peut se résumer en ces mots "de l’autorité à l’expérience".

 Comment pouvons-nous savoir ? Comment avoir cette expérience directe, libre de l’intrusion d’aucun intermédiaire ? Il est répondu qu’il y a une méthode qui a été suivie par des milliers d’êtres, et un procédé scientifique qui a été formulé et suivi par les penseurs de toutes les périodes et au moyen desquels ils sont devenus des connaisseurs. 

 L’éducation a peut-être accompli son travail principal en préparant l’intellect à entreprendre le travail de la méditation. Elle nous a appris que nous possédions cet instrument et nous a donné quelques-uns des moyens de nous en servir. Les psychologues nous ont beaucoup appris au sujet de nos réactions mentales et de nos habitudes instinctives. Maintenant l’homme doit prendre consciemment possession de son instrument et passer des stades initiaux de l’éducation aux salles des classes et aux laboratoires, où il est possible de faire de la recherche de Dieu l’objectif de l’éducation. Qui a dit que le monde n’était pas une prison mais un jardin d’enfants spirituel, où des milliers d’enfants essayaient d’épeler Dieu ? L’intellect nous envoie de-ci, de-là, tandis que nous apprenons à épeler la Vérité jusqu’à ce que le jour pointe où, épuisés, nous nous retirons en nous-mêmes et méditions ; alors, nous trouvons Dieu.

 Ainsi que le dit le Dr Overstreet : "Notre patiente recherche trouve alors son explication et prend sa signification. C’est le Dieu opérant en nous. Comme nous découvrons alors les valeurs plus durables, ou comme nous les créons, nous instaurons Dieu dans notre propre existence".

Overstreet H. A., The Enduring Quest, p. 265.

 

Nous pouvons encore définir la méditation comme la méthode par laquelle l’homme parvient à la Gloire dévoilée du Soi, par le rejet d’une forme après l’autre. L’éducation n’est pas uniquement procurée par les écoles et les universités. La plus grande de toutes les écoles est l’expérience de la vie même et les leçons que nous apprenons sont celles que nous attirons sur nous-mêmes, en nous identifiant avec une succession de formes (...) formes des plaisirs, formes de ceux que nous aimons, formes des désirs, formes des connaissances (...) la liste est sans fin. Car, les formes, que sont-elles sinon ces illusions que nous créons et que nous plaçons devant nous pour en faire l’objet de notre culte, ou ces idées du bonheur, de la vérité que d’autres ont créées et après lesquelles nous courons sans fin, pour découvrir qu’elles s’évanouissent en brouillard devant nos yeux fatigués ? Nous cherchons notre satisfaction dans des phénomènes de toutes sortes, seulement pour trouver qu’ils se changent en poussière et en cendres jusqu’à ce que nous atteignions ce quelque chose d’intangible mais d’infiniment réel qui leur donna l’être à tous. Celui qui voit dans les formes les symboles de la réalité est bien sur la voie qui conduit au toucher du Soi dévoilé. Mais cela nécessite une appréhension mentale et une intuition dirigée. Sir James Jeans eut-il un aperçu de ceci lorsqu’il dit :

 Des phénomènes viennent à nous, déguisés dans leur encadrement de temps et d’espace ; ils sont des messages chiffrés dont nous ne découvrons pas la signification ultime avant de les avoir dépouillés de leur enveloppe de temps espace.

 1 Jeans, Sir James, The Universe Around Us, p.339.

 L’homme est un point de lumière divine, caché au milieu de nombreuses enveloppes, comme est cachée la lumière dans une lanterne. Celle-ci peut être soit fermée et obscure soit ouverte et radiante. Elle peut être soit une lumière brillant devant les yeux des hommes ou bien une chose cachée, sans utilité pour autrui. On nous affirme dans les Yoga Sutras de Patanjali, ce livre fondamental sur la méditation, dont j’ai fourni une paraphrase dans mon livre La Lumière de l'âme (Bailey Alice A., The Light of the Soul, II, 52.), que par la juste discipline et la méditation : "Ce qui obscurcit la lumière est graduellement supprimé" et que "lorsque l’intelligence spirituelle (...) se reflète dans la substance mentale alors vient la connaissance du Soi". A un point de l’histoire de tout être humain, une crise importante survient, lorsque la lumière doit être perçue grâce à l’emploi approprié de l’intelligence et que l’on doit inévitablement entrer en contact avec le Divin. Patanjali insiste sur ce point quand il dit : "Le transfert de la conscience, d’un véhicule inférieur à n véhicule supérieur, fait partie du procédé créateur et évolutif."

 (Ibid., IV,)

 

Lentement et graduellement, le travail de la connaissance directe devient possible et la gloire qui est cachée en toute forme peut être révélée. Le secret est de savoir quand ce moment est venu et de saisir l’occasion. Meister Eckhart dit :

 Si l’âme était dépouillée de toutes ses enveloppes, Dieu se révélerait nu à sa vue et se donnerait à elle sans réserve.

Aussi longtemps que l’âme n’a rejeté ses voiles, si transparents soient-ils, elle est incapable de voir Dieu (Pfeiffer Franz, Meister Eckhart, p.114).

 

Ainsi l’Orient et l’Occident enseignent la même idée et par les mêmes symboles.

 La méditation est par conséquent un procédé ordonné par lequel l’homme trouve Dieu. C’est un système bien éprouvé et souvent employé, qui révèle infailliblement le divin. Les mots importants ici, sont "procédé ordonné".

Certaines règles doivent être suivies, certains degrés définis doivent être franchis et certains stades de développement expérimentés avant que l’homme puisse réellement recueillir les fruits de la méditation. Comme nous l’avons vu, c’est une partie du procédé évolutif et, comme toute chose dans la nature, cela est lent mais sûr, infaillible dans ses résultats. Il n’y a pas de désappointement pour l’homme qui est prêt à obéir aux règles et à travailler selon ce système. La méditation appelle le contrôle du soi en toute chose et, tant que le travail de la méditation lui-même n’est pas accompagné de l’accomplissement des autres exigences incluses dans le "procédé ordonné", tels que le contrôle de soi-même et le service actif, l’objectif ne sera pas atteint.

Le fanatisme est exclus. Ceci est clairement démontré dans la Bhagavad-Gitâ :

 Il n’y a pas de méditation pour l’homme qui mange trop ou trop peu ou pour celui dont l’habitude est de dormir trop ou trop peu. Mais pour celui qui est réglé dans sa nourriture, dans son travail, réglé aussi dans son sommeil et dans sa veille, la méditation devient le destructeur de souffrance.

Bhagavad-Gitâ, VI, 16-17.

 

La méditation peut être justement regardée comme une partie du procédé naturel qui, jusqu’ici, a porté l’homme en avant sur le chemin de l’évolution, d’un stade à peine au-dessus de l’animal, à la position actuelle de développement mental, de réussite expérimentale et de divine inquiétude. Son centre de conscience a changé, son attention a été dirigée patiemment vers un ordre de contacts toujours plus large.

 L’homme a déjà passé de l’état purement animal et physique à l’état intensément émotif et à la perception sensorielle ; et des millions d’individus demeurent dans cet état aujourd’hui. Mais, d’autres millions d’individus progressent au-delà de ceci, dans un champ de connaissance autre et supérieur, que nous appelons l’intellect. Toutefois, un nombre beaucoup plus restreint d’êtres passent dans la sphère où un ordre de contacts universels est possible. Nous les appelons les Connaisseurs. A travers toutes les méthodes employées, court le fil d’or du but divin, et c’est par la voie de la méditation que la conscience humaine est transférée dans le domaine de la réalisation et de la connaissance de l’âme. Ce procédé de dévoilement du Soi par la négation du côté forme de la vie et l’incapacité finale des enveloppes à le cacher, peut être décrit en terme de transmutation aussi bien qu’en ceux de transfert de la conscience.

 La transmutation est la modification des énergies mentales, émotionnelles et physiques, dirigées de telle sorte qu’elles servent à révéler le Soi et non pas seulement à révéler les natures psychique et corporelle.

 On nous dit, par exemple, que nous avons cinq instincts principaux en commun avec tous les animaux. Quand ces instincts sont employés pour des fins égoïstes et personnelles, ils augmentent la vie du corps, fortifient la forme et la nature matérielle et servent à cacher de plus en plus le Soi, l’homme spirituel. Ils doivent être transmués en leurs contreparties supérieures, car chaque caractéristique animale a son prototype spirituel. L’instinct de préservation doit finalement être remplacé par la compréhension de l’immortalité et,  "demeurant toujours dans l’Eternel", l’homme en pèlerinage sur la terre, accomplira sa destinée. L’instinct, qui incite le soi inférieur à se précipiter en avant et à forcer sa route vers l’altitude spirituelle, sera finalement transformé en domination du soi supérieur ou spirituel.

 L’affirmation du petit soi ou soi inférieur fera place à celle du Soi supérieur. Le sexe, qui est l’instinct animal gouvernant puissamment toutes les formes animales, fera place à une attraction supérieure et, sous ses plus nobles aspects, il amènera une attraction consciente et aboutissant à l’union de l’âme et de ses véhicules, tandis que l’instinct grégaire sera transmué en conscience du groupe.

Un cinquième instinct, à savoir l’incitation à chercher, à investiguer, qui caractérise tout intellect à un niveau élevé ou non, fera place à la perception intuitive et à la compréhension et ainsi le grand travail sera accompli, l’homme spirituel dominera sa création, l’être humain, et élèvera tous ses attributs et ses aspects jusqu’aux cieux.

 Par la méditation, la connaissance spirituelle croît dans l’intellect, et, partant de cette base du savoir ordinaire, nous élargissons patiemment notre compréhension du terme jusqu’à ce que la connaissance fusionne avec la sagesse. Ceci est la connaissance directe de Dieu, au moyen de la faculté mentale ; en sorte que nous devenons ce que nous sommes et pouvons manifester notre nature divine. Tagore dit quelque part : "La méditation est la pénétration dans quelque grande vérité jusqu’à ce que nous soyons possédés par elle", et la vérité et Dieu sont des termes synonymes. L’intellect connaît deux objets, nous dit-on : le monde extérieur par l’intermédiaire des cinq sens et du cerveau, et l’âme et son monde, par ce que nous pourrions appeler un emploi introversé du mental et par sa concentration intense sur un champ de contact nouveau et inhabituel. Alors "la substance mentale reflétant le connaisseur (le Soi) et le connaissable devient omnisciente... " elle devient l’instrument du Soi et agit comme agent d’unification."

 Bailey Alice A., The Light of the Soul, IV, 22-24.

 

Toute chose sera révélée à l’homme qui médite réellement. Il comprendra les choses cachées de la nature et les secrets de la vie de l’esprit. Il saura aussi comment il sait.

 Ainsi la méditation amène l’union, la fusion.

 Le mystique occidental pourra parler de l’union, tandis que son frère d’Orient parlera de Raja Yoga, ou d’union et de Libération, mais ils veulent dire la même chose, à savoir : que l’intellect et l’âme (le Christ en nous ou le Soi Supérieur) fonctionnent comme une unité, comme un tout coordonné, exprimant ainsi parfaitement la volonté du Dieu intérieur. René Guénon, dans son livre L'homme et son devenir, fait sur le mot "union" un intéressant commentaire qui a sa place ici :

 La réalisation de cette identité est effectuée par le Yoga, c’est-à-dire par l’union intime et essentielle de l’être avec le Divin Principe, ou, si l’on préfère, avec l’Universel. La signification exacte du mot (Yoga) est "union" et rien d’autre... Il est à noter que cette réalisation ne doit pas être regardée strictement comme un "achèvement" ou comme la production d’un résultat non préexistant, selon l’expression de Sankarâchârya, car l’union en question, bien que non actuellement réalisée, au sens auquel nous l’entendons, n’en existe pas moins en puissance, ou plutôt virtuellement ; ce qui est impliqué est principalement l’obtention effective par l’être individuel (...) de la conscience de ce qui est véritablement de toute éternité.

 Guénon René, Man and his Becoming, p. 37.

 

Par les étapes ordonnées du procédé de la méditation une relation est établie graduellement, avec persévérance, entre l’âme et ses instruments, jusqu’au moment où ils sont littéralement un. Alors, les enveloppes servent simplement à déceler la lumière du Fils de Dieu intérieurement présent ; le corps physique est sous le contrôle direct de l’âme, car l’intellect illuminé transmet (comme nous le verrons plus tard) le savoir de l’âme au cerveau physique ; la nature émotive est purifiée et reflète simplement l’aspect amour de l’âme, comme l’intellect reflète les desseins de Dieu. Ainsi, les aspects séparatifs et jusqu’ici désorganisés de l’être humain sont synthétisés et mis en relation harmonieuse les uns avec les autres et avec l’âme, leur créateur, la source de leur énergie et de leur dynamisme.

 Cette science de l’union implique une discipline de la vie et un système expérimental de coordination. Sa méthode comporte la concentration de l’attention, le contrôle de l’intellect ou méditation ; elle est un mode de développement par lequel nous effectuons l’union avec l’âme et connaissons des états de conscience transcendants.

 

Les paroles familières de Browning le résument pour nous :

 "La Vérité est en nous ; elle ne prend pas son essor

A partir des choses extérieures, quoi que vous croyez.

Il existe un centre au plus profond de nous tous,

Où la vérité réside en plénitude ; et autour

Mur après mur, la chair grossière la voile et savoir

Consiste à frayer un chemin

D’où la splendeur emprisonnée puisse s’échapper

Plutôt qu’à pratiquer une entrée pour la lumière

Supposée être au-dehors."

 1 Browning, Robert, Paracelsus.

 

L’objet de la méditation est donc de rendre l’homme capable de manifester extérieurement ce qu’il est dans sa réalité intérieure et de le faire s’identifier avec son aspect âme et non simplement avec ses caractéristiques inférieures. C’est un procédé rapide quand il s’agit du développement de la conscience raisonnante, mais, dans ce cas, cela doit être appliqué à soi-même par soi-même et résulter d’une initiative personnelle. Par la méditation, le mental est employé comme un instrument servant à l’observation des états éternels ; avec le temps, il devient l’instrument de l’illumination et par lui, l’âme ou Soi transmet le savoir au cerveau physique. Finalement, la méditation suscite l’illumination. Meister Eckhart, dans son recueil de sermons, écrit au

XIVème siècle, dit :

 Trois sortes d’hommes voient Dieu. Les premiers Le voient par la foi ; ils ne connaissent pas plus de Lui qu’ils n’en peuvent découvrir à travers une cloison. Les seconds voient Dieu à la lumière de la grâce mais seulement comme la réponse à leurs aspirations, comme ce qui leur donne la douceur, la dévotion, l’intimité et autres choses semblables...

La troisième espèce voit Dieu dans la lumière divine.

 Pfeiffer Franz, Meister Eckhart, p. 191.

 

C’est cette lumière que le procédé de la méditation révèle et avec laquelle nous apprenons à travailler.

 Le cœur du monde est lumière et dans cette lumière nous verrons Dieu. En cette lumière nous nous découvrons. En cette lumière toute chose est révélée.

 Patanjali nous dit : "Quand les moyens de l’union ont été employés avec persévérance et quand l’impureté a été vaincue, la lumière se fait", conduisant à l’illumination totale. "L’intellect tend alors à une illumination croissante quant à la nature du Soi"

Bailey Alice A., The Light of the Soul, IV,26

 

L’irradiation de la lumière est le résultat de la méditation.

Cette "illumination est graduelle et se développe étape après étape".

 Ibid., III, 5-6.

 

Nous reprendrons ceci avec plus de détails, par la suite.

 Par la méditation et comme conséquences de tous les facteurs précédents, les pouvoirs de l’âme sont développés. Chacun des véhicules à travers lesquels l’âme s’exprime possède, à l’état latent, certaines forces inhérentes, mais l’âme, qui est leur source à toutes, les possède sous leur forme la plus pure, la plus sublimée. L’.il physique, par exemple, est l’organe de la vision physique. La clairvoyance est la même force manifestée dans ce qui est considéré comme le monde psychique, le monde de l’illusion, du sentiment et de l’émotion. Mais dans l’âme, ce même pouvoir se révèle comme perception pure et vision spirituelle infaillible. Les pouvoirs supérieurs correspondant aux pouvoirs physiques et psychiques sont mis en activité par la méditation et, ainsi, les remplacent. Ces pouvoirs se développent normalement et naturellement. Ceci non point parce qu’ils sont désirés ou consciemment développés, mais parce que, en même temps que le Dieu intérieur assume le contrôle de ses corps et les domine, ses pouvoirs apparaissent sur le plan physique et les forces potentielles se manifesteront alors en tant que réalités connues.

 Le vrai mystique ne se préoccupe ni des pouvoirs, ni des facultés, mais seulement du Possesseur de ces pouvoirs. Il se concentre sur le Soi et non pas sur les pouvoirs de ce Soi. A mesure qu’il fusionne avec la Réalité qui est lui-même, les pouvoirs de l’âme commencent à se manifester normalement, sans danger et utilement. Le procédé est résumé par Meister Eckhart en ces termes :

 Les pouvoirs inférieurs de l’âme devraient être aux ordres de ses pouvoirs supérieurs et ceux-ci aux ordres de Dieu ; ses sens extérieurs aux ordres de ses sens intérieurs et ceux-ci aux ordres de la raison ; la pensée aux ordres de l’intuition et l’intuition aux ordres de la volonté et le tout aux ordres de l’unité.

 1 Pfeiffer Franz, Meister Eckhart, p. 40.

 Les paroles du Dr Charles Whitby, traducteur du livre de René Guénon :

L'Homme et son devenir, sont appropriées à ce chapitre sur la méthode de la méditation. Il fait allusion à :

 L’écrasant témoignage confirmant l’accord réciproque, sur tous les points essentiels, des traditions ésotériques occidentales, hindoues, mahométanes et de l’Extrême-Orient.

La vérité que nous disons si témérairement inatteignable nous attend là en sa majesté sans changement et inchangeable, voilée, il est vrai, aux regards hâtifs et méprisants, mais toujours plus apparente aux chercheurs sincères et sans prévention. Selon Plotin l’acte de contemplation qui constitue essentiellement la vie de chaque individu et de l’humanité en entier monte graduellement et, par une progression naturelle et inévitable, de la Nature à l’Ame, de l’Ame à l’Intellect pur et de l’Intellect à l’Etre Suprême. S’il en est ainsi, la préoccupation actuelle des représentants les plus avancés de la pensée et de la science, quant aux matières psychiques et quasi psychiques, pourra, ou plutôt devra tôt ou tard faire place à une attention également sérieuse, apportée aux matières d’une importance supérieure et même de la plus grande importance.

 2 Guénon René, Man and his Becoming, p. X.

 Ainsi, l’on verra que la méditation nécessite une préparation très sévère,fait corroboré par le témoignage des mystiques et des initiés de tous les temps.

Le fait que d’autres aient atteint le but peut nous encourager, nous intéresser, rien de plus, à moins que nous-mêmes entrions en action, définitivement. Qu’il y ait une technique et une science de l’union basée sur le juste emploi du corps mental et sur son usage correct, peut être profondément vrai, mais ce savoir est sans but, à moins que chaque penseur n’use du procédé et en recherche le résultat. Il doit prendre une décision au sujet des valeurs impliquées et entreprendre de démontrer le fait du mental, ses rapports dans les deux directions (avec l’âme d’une part et, d’autre part, avec l’entourage quotidien) et finalement manifester sa capacité d’employer l’intellect à volonté, quand il choisit de le faire. Ceci implique le développement du mental en une synthèse,

ou sens commun, et gouverne son emploi par rapport au monde de la vie terrestre, des émotions et de la pensée. Cela comporte aussi son orientation à volonté vers le monde de l’âme et sa capacité d’agir comme intermédiaire entre l’âme et le cerveau physique. La première relation est développée et entretenue par une solide méthode d’éducation exotérique ; la seconde est rendue possible par la méditation, forme supérieure de l’éducation.